Dès qu’il parut contenir assez de lard, le porc, on lui troua la panse. Car un cochon, c’est fait pour saigner, tout comme les melons, aux parts bien dessinées par le Bon Dieu, pour être découpés. Et puis ne serait-ce pas indécent de s’émouvoir, en temps de guerre, sur le sang d’une bête ? « Le sang c’est l’âme », affirmait mon ami Jacob. Eh bien alors j’ai vu de l’âme gicler, asperger les fermiers, ruisseler dans la cour, et me tremper les pieds. N’y avait-il pas, en un bain si spirituel, de quoi devenir un autre homme ? Qui a perçu le cri d’une bête qu’on égorge, et constaté que les plus grandes douleurs, loin de se tenir coites, couinent comme des forcenés, en garde la gorge trop serrée pour encore raisonner. Désormais, moi je ne pourrais plus que représenter, par des images qui seraient comme des cris. «Que dire après Auschwitz ?», demandèrent les survivants ; moi, pour perdre la voix, il ne me fallut que la saignée d’un cochon.
Auteur de Les petits dieux : Franju et le porc
Sandrine Willems est née à Bruxelles en 1968. Ayant commencé très jeune un parcours de comédienne, elle entreprend ensuite des études de philosophie, qui s’achèvent par une thèse de doctorat sur Georges Bataille. Une licence d’études théâtrales à Strasbourg la ramène alors au théâtre par la mise en scène. Elle réalise ensuite, pour le cinéma et la télévision, plusieurs courts et moyens métrages, ainsi que des documentaires musicaux. Enfin, l’écriture de scénarios l’ayant conduite à la littérature, c’est à celle-ci qu’elle se consacre depuis quelques années.
Illustrateur de Les petits dieux : Franju et le porc
Le mot de l’éditeur : Un très beau recueil du poète-éditeur des Carnets du Dessert…
Un livre bref, d’une grande densité, évoquant avec sobriété et sans pathos les dernières heures d’un être aimé…