Entretien avec Hubert Nyssen

RÉSUMÉ
Entretien entre H. Nyssen, fondateur des éditions Acte Sud et J. De Decker, secrétaire perpétuel de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique.
À PROPOS DES AUTEURS
Hubert Nyssen

Auteur de Entretien avec Hubert Nyssen



Pour beaucoup, Hubert Nyssen est éditeur avant d'être écrivain. C'est évidemment une erreur. Une autre étant de croire que sa vie est emplie par cette dualité. Car il y a un Nyssen d'avant la création d'Actes-Sud et la publication du Nom de l'arbre.

Hubert Nyssen vient au monde à Boendael, à la périphérie de Bruxelles, le 11 avril 1925. Il est surtout marqué par une grand-mère paternelle d'origine tourangelle, qui lui transmet sa passion de la lecture. Puis par deux instituteurs, Charles Hoffman, peintre par ailleurs, et Albert Clerckx, écrivain sous le nom d'Albert Ayguesparse, qui ne cessera de l'encourager, par une enseignante enfin, qu'il adule au point de l'assister dans ses missions de résistante. Elle sera arrêtée, déportée, exécutée. Cet amour éradiqué nourrira la trame du premier roman, Le Nom de l'arbre, paru trente ans plus tard.

Des textes s'écrivent, mais en secret. Les études universitaires s'interrompent : une première famille s'est fondée. Une profession s'impose, ce sera la publicité. Il y réussit. «Plans» devient une des agences les plus dynamiques de Bruxelles, et se diversifie. Le siège de l'avenue Molière se dote d'un petit théâtre, d'une salle d'exposition. Le nom de Nyssen signe de premiers textes : une chronique littéraire dans la revue Synthèses, des entretiens avec des écrivains majeurs, diffusés par la radio et bientôt réunis en un volume, Les voies de l'écriture, au Mercure de France, en 1969.

C'est l'année décisive : celle du changement de vie, de pays, de métier. Avec sa seconde épouse, la traductrice Christine Le Bœuf, il s'installe dans un mas au Paradou, non loin d'Arles, y fonde un atelier de cartographie, qui se muera en maison d'édition en 1978. Il rencontre Albert Cohen, chez qui le frappe le projet «de ne composer qu' un seul livre, de plus en plus vaste».

Cette vision arborescente de l'œuvre s'impose également dans le cas de Nyssen romancier. Jacques De Decker y a distingué «les romans des racines, ceux du tronc et des branches, et ceux des fruits». Les trois premiers en tout cas correspondent à cette catégorisation, puisque Le Nom de l'arbre raconte la Belgique entre 1930 et 1960, La Mer traversée s'inscrit entre la même Belgique et le Maghreb, Des arbres dans la tête relate les années d'errance et de formation d' un double de l'auteur. Le tronc serait représenté par Éleonore à Dresde et Les Ruines de Rome, étrangement symétriques et par Les Rois borgnes, une sarabande tragi-comique.

Les fruits, ce seraient les livres du grand âge. Ils coïncident avec une prise de distance des éditions Actes-Sud, confiées en toute sérénité à Françoise Nyssen, la fille aînée, qui pilote désormais l'entreprise dans la flotte de tête de l'édition française.

L'Italienne au rucher, Le bonheur de l'imposture, Zeg ou les infortunes de la fiction, Quand tu seras à Proust la guerre sera finie, exemples de ces livres de la maturité souveraine, témoignent volontiers d'un ludisme qui d'ailleurs requiert du lecteur une disponibilité véritablement complice, sur un ton qui indique par son ironique assurance que le but est à portée de main : faire de l'accomplissement du sens d'une vie une œuvre d'art.

Il est mort le 12 novembre 2011.

Jacques De Decker

Auteur de Entretien avec Hubert Nyssen

En 1963, l'année où il entame ses études de philologie germanique à l'ULB, Jacques De Decker débute comme acteur : il joue le rôle de Monsieur Martin dans La Cantatrice Chauve au Théâtre de l'Esprit Frappeur, qu'il vient de fonder avec son ami Albert-André Lheureux rencontré à l'Athénée de Schaerbeek (où ils eurent pour maître commun Paul Delsemme). Théâtre et connaissance des langues : les deux se rejoindront lorsque six ans plus tard se jouera dans la même petite salle une première pièce qu'il aura adaptée de l'anglais. Entre-temps, il aura achevé sa licence avec un mémoire (écrit en néerlandais) sur le théâtre de Hugo Claus qui paraîtra en 1971 à Anvers sous le titre Over Claus' Toneel. Théâtre, plurilinguisme, approche critique : les trois premières bases d'une activité sont jetées. Il va largement développer son activité d'adaptateur de pièces des répertoires anglo-saxon, néerlandais, allemand, et transposer, au cours des décennies qui suivront, plus de soixante ouvrages, tant classiques que contemporains, et pour la plupart des scènes belges : Rideau de Bruxelles, Théâtre National, Parc, Galeries, Atelier Théâtral de Louvain, Poche, en se focalisant particulièrement sur la compagnie Théâtre en Liberté et le Théâtre de la Place des Martyrs, animés par Daniel Scahaise, pour qui il adapte Shakespeare, Goethe, Wedekind, Schnitzler, Brecht, même Tchekhov et Strindberg. Sa collaboration avec le metteur en scène Jean-Claude Idée est très régulière également : ils présenteront notamment, en 1998, à l'occasion du jubilé de Goethe, Egmont dans la cour de l'hôtel de ville de Bruxelles. Idée montera aussi des pièces originales de De Decker : Tranches de dimanche en 1988, Le Magnolia en 2000 qui depuis a été joué au Théâtre Hébertot à Paris ainsi qu'au Théâtre National de Riga. Petit Matin, sa première pièce, l'auteur l'aura montée lui-même en 1976 au Rideau de Bruxelles (Claude Etienne ne la lui avait-il pas commandée?). Ses autres mises en scène, il les a réalisées au Théâtre Poème, dirigeant Monique Dorsel dans des textes de Joyce, Claire Lejeune, Pierre Mertens. Dans le même théâtre sera créé Petit Matin, Grand Soir, développement de la pièce inaugurale. Jeu d'intérieur y sera également montée, après avoir été créée à l'Esprit Frappeur et avant d'être à l'affiche du Festival d'Adélaïde en Australie. Entre-temps, De Decker poursuit son travail d'enseignant : à l'École d'Interprètes Internationaux de l'Université de Mons (langue et culture néerlandaises), à l'Insas, au Conservatoire de Bruxelles (histoire du Théâtre) et dès 1971, à l'invitation de Jean Tordeur qui l'accueillera, vingt-sept ans plus tard, à l'Académie, il devient critique littéraire au journal Le Soir, auquel il est toujours attaché, et dont il dirigea le service culturel de 1985 à 1990. Ses articles seront réunis dans plusieurs ensembles critiques : Les années critiques. Les Septantrionaux en 1990, En lisant, en écoutant en 1996, La brosse à relire en 1998. En 1985, il débute dans le roman avec La Grande Roue, qui est encore un hommage au théâtre, puisqu'il a pour modèle La Ronde de Schnitzler. Pol Vandromme en écrira : « Schnitzler avait la cruauté dans les yeux, Jacques De Decker a le visage de la miséricorde. » Le livre sera retenu dans la première sélection du prix Goncourt. Comme le roman suivant, Parades amoureuses, en 1990, figurera dans celle du Renaudot. En 1996, Le Ventre de la baleine s'inspirera des interrogations laissées par l'affaire Cools. Ce roman est le signe manifeste du souci qu'a De Decker de l'investissement des écrivains dans les questions d'actualité. C'est dans cet esprit qu'il relance avec l'éditrice Luce Wilquin en 1998 la revue Marginales, créée en 1945, année de sa naissance, par Albert Ayguesparse à qui il avait succédé à l'Académie. Jacques de Decker est décédé en avril 2020.

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