En faisant du thème de l’empathie le cœur de ce neuvième numéro de Projections, nous avions conscience de ne pas faire dans l’originalité. Il s’agissait plutôt de s’emparer d’un sujet dans l’air du temps.

En 2009, l’essayiste Jeremy Rifkin décrivait l’émergence d’une « civilisation empathique » dans un monde en crise. Moins d’un an plus tard, le primatologue Frans de Waal lui emboîtait le pas avec L’âge de l’empathie, appelant à faire de la nature la source d’inspiration susceptible de mener à des modes de socialisation plus « bienveillants » et d’instituer à terme, a kinder society. Outre les « besoins intellectuels » de l’époque, ce regain d’intérêt pour l’empathie s’explique également par la découverte, en neurosciences, des neurones miroirs, nous rendant capables, à l’instar d’autres espèces, de ressentir et d’expérimenter des situations vécues par autrui comme si elles l’étaient par nous-mêmes.

Cette avancée fondamentale ne fait certes…

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FIRST:empathie - "Editorial"
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L'un à travers l'autre, et inversement (traduire Henry James et Edith Wharton)

Pour être simple, et même simpliste, disons qu'un écrivain est quelqu'un qui bien sûr écrit, mais qui surtout écrit pour être publié, le contrat d'édition pouvant être établi après coup. Internet sans doute a changé la donne, en permettant de se publier, au lieu d'être publié. La posture de l'autofiction dispose désormais des techniques de l'autopublication. Mais enfin un traducteur ne pratique pas l'autofiction, du moins dans un sens direct, et reste un praticien qui a obtenu un contrat de traduction rémunéré d'avance, pour se mettre à traduire ce qui peut être une œuvre qu'il a lui-même proposée. Si, concernant les milliers de pages de James que depuis une trentaine d'années j'ai traduites, organisées, préfacées, commentées, presque toujours de ma propre initiative, après m'être assuré un éditeur prêt à me suivre, on parle d'identification ou d'empathie, ce suffrage pourrait flatter ma vanité avide d'homologation et blesser mon orgueil anxieux de singularité. Car, en réalité, s'il y avait eu pour moi, à travers la traduction, une identification plausible dans la littérature classique américaine, cela aurait été, non pas (faut-il le dire ?) avec Henry James (1843-1916), mais avec par exemple Katharine Prescott Wormeley (1830-1908), dont les traductions des épisodes de La Comédie Humaine ont, en 1895, abouti à une publication intégrale en quarante volumes. James adolescent avait fait dans le texte original la découverte passionnée et décisive de Balzac, et il en avait conclu que la façon d'en suivre les leçons françaises était, non pas de le traduire, mais de sonder librement son propre génie de romancier américain. A contrario, c'est afin de cesser de sonder ma propre individualité d'écrivain que j'ai navigué à la surface, ou plongé dans les profondeurs, des océans jamesiens. En 1978, Joaquim Vital (1948-2010), directeur-fondateur des alors toutes nouvelles éditions de La Différence, me proposait de publier trois manuscrits que je lui avais soumis (Lazare Définitif, Ruptures d'Innocence, Sauna), avec, pour l'ensemble, un à-valoir qu'il me verserait en un certain nombre de mensualités. Les livres parurent au bout de plusieurs mois, certains de mes lecteurs trop bienveillants avaient pensé déceler dans ma manière novice une influence de Marcel Proust et de Henry James ; Proust, soit, je m'en étais saturé, y ayant eu accès dix ans plus tôt par la fameuse première édition en poche ; mais, James, je n'en connaissais rien d'autre que l'existence. « Comment, vous n'avez jamais rien lu de James ? Vous devriez. Cela vous intéressera sûrement. » D'un autre côté, les mensualités de mon à-valoir s'étaient depuis longtemps terminées ; on m'informe que traduire est pour un écrivain, qui tient à la liberté de ses horaires, une bonne façon d'avoir des revenus maigres mais réguliers ; on me communique une petite liste de nouvelles inédites de Henry James ; je vais à la bibliothèque de Beaubourg pour y jeter un coup d'œil dans l'édition intégrale Edel en 12 volumes ; et, dès les premières phrases de la nouvelle que je choisis comme au hasard, The Diary of a Man of Fifty, je sens que c'est fait pour moi, ou que je suis fait pour cela. Je la traduis aussitôt sous le titre de Retour à Florence, qui est celui de mon premier recueil, paru en 1983, et comprenant deux autres nouvelles italiennes (à l'époque, j'allais en Italie dès que je le pouvais, à Venise, surtout), La Différence n'ayant pas hésité à me suivre, en dépit de ma parfaite inexpérience de traducteur et d'angliciste. J'en fais peu après, et de ma seule initiative, une adaptation théâtrale. Par un subterfuge mondain, je parviens à y intéresser Simone Benmussa (1931—2001). Elle la monte en décembre 1985 dans la petite salle du théâtre du Rond-Point, avec, pour le rôle de la comtesse Salvi-Scarabelli, Arielle Dombasle. Débute, par ailleurs, une période de relative prospérité pour La Différence, qui lance une collection d'œuvres complètes. Joaquim Vital me demande ce que je penserais de m'occuper d'une Intégrale James. Je lui réponds que ce serait écrasant, trois fois Balzac et dix fois Proust en nombre de signes, mais qu'une Intégrale des cent-douze nouvelles serait sans doute concevable : il en existe à peu près le quart en traductions françaises, nous pourrions les reprendre, et je me chargerais des trois-quarts restants. Les reprises se sont vite révélées impraticables, pour des questions de droit, et surtout en raison du disparate des styles de multiples traducteurs en de multiples époques chez de multiples éditeurs. Et donc il a été décidé que je traduirais, organiserais, préfacerais la totalité, en quatre très forts volumes. Joaquim m'a proposé d'établir moi-même mon calendrier, et de me mensualiser pour cela, dans la mesure du possible, pour moi comme pour La Différence. Si l'idée de James venait de moi, la possibilité d'un Intégrale dépendait de nous deux. Il y a eu des péripéties, et une longue éclipse. Les deux premiers volumes ont paru en 1990 et 1992. Les deux derniers en 2008 et 2009. Mais c'est une autre histoire. Car je ne propose ici que quelques lignes d'introduction à Edith et Henry, petit montage des lettres de Henry James et Edith Wharton(1862-1937), qui a été lu le 7 juillet dernier, avec talent et succès, par Marianne Basler et Jean-Philippe Puymartin (à vrai dire, l'initiative venait d'eux, qui avaient bien voulu faire alors appel à mes conseils), au Festival de la Correspondance de Grignan. Si je me suis d'abord intéressé à Edith Wharton, c'est pour l'important chapitre qu'elle consacre à Henry James dans son autobiographie de 1934, A Backward Glance, que j'ai titrée Les Chemins parcourus, pour ma traduction parue en 1995. Bien sûr, traduisant par la suite plusieurs de ses romans, de ses nouvelles, et même deux courts essais, j'ai cessé de considérer Wharton dans le miroir de James, et j'ai progressivement pris la mesure de sa puissante originalité. Cependant, je n'ai pas changé d'avis sur la signification de certaine anecdote rapportée par le grand jamesien Leon Edel (1907—1997). Voici ce dont il s'agit. Le jeune Edel, ayant entrepris ses travaux sur James, dont il devait faire sa carrière, en commençant par une thèse soutenue à La Sorbonne, rencontre au début des années 1930 Edith Wharton dans son château de Saint-Brice-sous-Forêt. Il l'interroge sur Walter Berry, mort en 1927, sur qui il aimerait rédiger une étude. Berry a été l'ami de cœur et d'esprit de Wharton, son premier lecteur et conseiller littéraire. D'abord elle se méfie, craignant que son visiteur ne soit à la recherche d'anecdotes indiscrètes. Mais elle est vite rassurée par l'évidente probité intellectuelle de ce jeune érudit. Toutefois, elle lui déclare : « Walter était un homme remarquable, un brillant juriste et un grand lettré. Mais pourquoi voulez-vous lui consacrer un essai, alors qu'il n'a rien écrit ? » Edel lui répond : « Parce qu'il a très personnellement connu les trois écrivains majeurs de notre temps : Marcel Proust, Henry James, et vous-même. » Wharton alors lui rétorque dans un éclat de rire : « Non, je ne suis pas de ce genre d'écrivain ! » Il y a dans sa réaction à la fois la vérité objective de sa lucidité, et la vérité subjective de sa volonté. Le génie signifie une dissolution des frontières entre la vie quotidienne et la vie imaginaire, une fusion de l'être dans l'œuvre ; c'est un état créatif qui n'est pas celui d'Edith Wharton, et dont d'ailleurs elle aurait refusé pour elle-même le fatal déséquilibre, curieusement issu d'une synthèse, au lieu de l'équilibre paradoxal d'une dissociation. « Mes deux vies, divisées entre ces mondes également réels quoique totalement distincts, ont ainsi marché de concert, pareillement absorbantes, mais entièrement isolées l'une de l'autre, depuis ma petite enfance », note-t-elle dans Les Chemins parcourus. Et, à propos de James, elle écrit avec simplicité : « Je n'ai jamais connu…

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