Editorial | Objectif plumes

En faisant du thème de l’empathie le cœur de ce neuvième numéro de Projections, nous avions conscience de ne pas faire dans l’originalité. Il s’agissait plutôt de s’emparer d’un sujet dans l’air du temps.

En 2009, l’essayiste Jeremy Rifkin décrivait l’émergence d’une « civilisation empathique » dans un monde en crise. Moins d’un an plus tard, le primatologue Frans de Waal lui emboîtait le pas avec L’âge de l’empathie, appelant à faire de la nature la source d’inspiration susceptible de mener à des modes de socialisation plus « bienveillants » et d’instituer à terme, a kinder society. Outre les « besoins intellectuels » de l’époque, ce regain d’intérêt pour l’empathie s’explique également par la découverte, en neurosciences, des neurones miroirs, nous rendant capables, à l’instar d’autres espèces, de ressentir et d’expérimenter des situations vécues par autrui comme si elles l’étaient par nous-mêmes.

Cette avancée fondamentale ne fait certes…

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Camp Est : journal d’une ethnologue dans une prison de Kanaky-Nouvelle-Calédonie

Ethnologue, écrivaine, autrice de La maison de l’âme (Editions Maelström, 2010), Chantal Deltenre livre dans Camp Est un journal de terrain qui évoque la mission d’observation ethnograhique en milieu carcéral dont elle a été chargée. Étrangère à la culture kanak, au monde calédonien et extérieure à l’institution pénitentiaire, elle côtoie durant un mois le « Camp Est » situé sur l’île de Nou, une prison de Nouméa dont elle décrit et analyse le fonctionnement, les cercles de violence physique, structurelle, sociale, symbolique, mais aussi les enjeux et l’impensé. Le récit est avant tout celui d’un dépaysement, d’un saut dans un monde doublement inconnu (culture kanak, monde mélanésien et espace carcéral), d’une attention à la dimension coloniale de l’institution pénitentiaire. Toujours placée sous la souveraineté de la République française, la Nouvelle-Calédonie a très tôt été conçue par la France coloniale comme une terre de bagnes sur laquelle expédier les détenus de droit commun ou politiques (quatre mille Communards, dont Louise Michel, furent transférés dans des pénitenciers calédoniens). Ce qui frappe Chantal Deltenre, ce sont les suicides des jeunes détenus, la composition de la population, à majorité kanak (90% de détenus kanak, presque toujours issus de quartiers défavorisés, de squats), la minorité de prisonniers caldoches, d’origine européenne, la crise identitaire, psychique que l’enfermement induit. L’ethnologue recueille les témoignages des différents acteurs, interroge l’écartèlement de ces jeunes entre une culture tribale dont ils sont coupés et un monde post-colonial dont les effets racialistes, la ségrégation identitaire, les ravages sociétaux sont prégnants. Prisme, miroir grossissant permettant de radiographier l’état de la société calédonienne actuelle, le Camp Est «  placé sous la tutelle de l’État français  » sert aussi de révélateur mettant en lumière les dysfonctionements, les conditions inhumaines de survie dans les prisons françaises (surpopulation, traitements humiliants et dégradants, absence d’une politique suffisante de prévention et de réinsertion sociale, logique sécuritaire et répressive créant des citoyens de seconde zone, stigmatisés…).Comme l’écrit Marie Salün dans sa postface : «  Sentiment de vertige face au gouffre qui s’ouvre sous nos pieds, à l’heure de la construction programmée, d’ici 2027, de 15 000 places supplémentaires dans les prisons françaises. Puisse son texte faire réfléchir à la fuite en avant que constitue cette politique pénale  ».           Reconduisant les inégalités, produisant de la délinquance, la prison n’est-elle pas obsolète, en son principe ou dans les formes, dans la logique qu’elle adopte ? Au fil de son enquête quotidienne, Chantal Deltenre se heurte à un monde de détresses, de souffrances qui se traduisent par des actes d’automutilation, par des suicides de détenus. Elle relie la fonction politique des centres de détention, de la gestion des délits, l’utilisation de la main-d’œuvre pénale sous-payée à «  l’histoire coloniale de la Nouvelle-Calédonie  » qui «  est précisément celle d’une succession d’enfermements  », d’une destruction de la culture kanak. Chassées de leurs terres, spoliées, privées de droits politiques (jusqu’en 1946), les populations autochtones se voient parquées dans des réserves. Sans réduire la délinquance juvénile à une perte de repères, elle-même liée à la mise en crise du mode de vie clanique sous l’effet de la colonisation, Chantal Deltenre pointe les faisceaux étiologiques, les continuités entre l’espace carcéral des réserves et la fonction actuelle de la prison. Soulignant la décohésion sociale engendrée par le heurt d’une effroyable violence entre société indigène et modèle occidental, elle étudie, de l’intérieur, les modalités de contrôle social.Histoire de regards, de rencontres, d’empathie, ouvrage décisif, Camp Est ouvre la méthodologie ethnographique à l’expérience vécue que la chercheuse traverse, une expérience qui la modifie, qui infléchit son enquête, qui déporte les enjeux épistémologiques, les outils scientifiques vers un horizon politique et éthique subjectivement assumé.    Véronique Bergen Plus d’information En 2016, Chantal Deltenre se voit confier une mission d’observation ethnographique par l’administration pénitentiaire française au « Camp Est », la prison de Nouméa en Nouvelle-Calédonie. Elle y est demeurée un mois. Étrangère à l’univers carcéral tout autant qu’au monde calédonien, elle en rapporte un récit qui plonge le lecteur de plain-pied dans un centre de détention directement hérité…

Anamnèse

Jack Lee a perdu femme et fille dans un accident, toute empathie pour le monde qui l’entoure. Ses semblables…

Nos regards se sont croisés : La scène de la rencontre avec un animal

Parmi les prix qu’elle a décernés en 2021, notre Académie royale de langue et de littératures françaises avait distingué un ouvrage de Pierre Schoentjes, Littérature et écologie. Le mur des abeilles (Corti 2020) . Saluant le lauréat, professeur de littérature française à l’Université de Gand, Yves Namur présentait cet essai comme entendant répondre à la question suivante : «  Comment la littérature s’empare-t-elle des questions environnementales pour penser notre avenir et notre futur ?  ». Il soulignait que l’auteur fondait sa démarche sur une relecture de notre patrimoine littéraire à la lumière de cette question. Pierre Schoentjes nous revient aujourd’hui avec un nouvel essai, Nos regards se sont croisés. La scène de la rencontre avec un animal , se fondant sur la même approche, centrée cette fois sur une thématique plus précise. Pour ce faire, l’auteur revisite des œuvres connues, d’autres plus discrètes, convoquant pas moins d’une septantaine d’auteurs auxquels il mêle d’autres artistes. Parcourant plus de deux siècles, il s’intéresse à la façon dont les écrivains mettent en scène la rencontre entre humains et animaux et plus particulièrement à la description des échanges du regard intervenant entre eux. Elle s’affirme comme particulièrement révélatrice. Un échange les yeux dans les yeux avec un animal est toujours l’occasion d’une interrogation. La scène constitue un moment privilégié qui amène le protagoniste à interpréter avec une attention particulière ce qui se joue entre l’animal et lui. Une communication est-elle possible ?  Dans les nombreux extraits présentés et commentés dans la tradition de l’analyse textuelle, le croisement de regards est toujours intense et il agit sur la vision de la relation avec le règne animal. Ceci vaut pour l’animal domestique, mais aussi pour ceux que l’on élève et abat ou chasse pour se nourrir, pour des espèces proches des humains comme pour d’autres a priori moins attendues comme les insectes ou poissons. Les deux siècles littéraires parcourus et richement illustrés d’extraits commentés permettent aussi de mesurer l’évolution du regard, marquée par celle, continue, des mentalités. Longtemps dominé par la vision de Descartes qui déclarait dans le discours de la méthode (1637) qu’il faut se «  rendre maître et possesseur de la nature  », le sens commun actuel est désormais habité par des notions telles que le bien-être animal ou la défense de l’environnement. Et comme le souligne Pierre Schoentjes, notre rapport aux animaux passe aussi par les livres dans une forme de va-et-vient à propos duquel il nous éclaire.Déclinant la réflexion déjà riche de l’auteur, dont les ouvrages antérieurs s’inscrivent dans le courant plus large de l’écopoétique, voici donc un ouvrage qui en décrit les contours tout à la fois dans l’analyse littéraire et dans les lettres elles-mêmes. Il lui fait une place de choix aux côtés des approches historiques, sociales, psychanalytiques ou anthropologiques. Décidément, la belle aventure de l’écriture littéraire est bien loin d’être terminée. Thierry Detienne Si on excepte les animaux de compagnie, les bêtes sont absentes de la vie quotidienne dans les sociétés occidentales prospères. Or, c’est aussi par le contact direct avec les animaux que nous nous définissons comme humains, par la compréhension de ce qui nous lie à eux et ce qui nous différencie. Cet essai interroge ce lien intime à partir d’une scène présente dans nombre de textes littéraires: la rencontre entre animaux humains et non humains. Basé sur une vaste enquête qui explore le champ littéraire du dernier siècle, ce livre s’efforce de dégager la manière dont l’écriture fait écho à l’empathie qui s’exprime envers les animaux et notamment à l’importance des rencontres comme déclencheurs d’un engagement fort en faveur des droits des…