Dins des sôres di romances

RÉSUMÉ

Il s’agit du rassemblement de plusieurs œuvres du poète Lorint Hendschel, traduites en français par lui-même : les recueils Dins des mwins d’ cenes (sous le titre Ridadje), Rén n’ nos rtént / rén n’ nos ratind et Li nute toûne (sous le titre Erignures) ont été publiés par la Société de langue et de littérature wallonnes.

Les recueils HapêyesLi minme afwaire veyowe troes côps et Cénk pititès ôdes ont paru dans différents numéros de la revue Les Cahiers wallons. Le texte Po Djulén Lahaut est paru dans la revue Toudi. Le recueil Dins des sôres di romances est inédit.

À PROPOS DE L'AUTEUR
Lorint Hendschel

Auteur de Dins des sôres di romances

Lorint Hendschel est un chercheur, écrivain et chanteur wallon né en 1966. Lauréat de plusieurs prix (Grand Prix de la Chanson wallonne en 1989, Prix de Littérature wallonne de la ville de Liège en 1993 et Prix littéraire de la Communauté française de Belgique en 1996), il fait partie du mouvement de normalisation de la langue wallonne.

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Bokèts po l’ dêrène chîje : Poèmes pour l’ultime veillée

Peu de temps avant son décès, le grand écrivain wallonophone Émile Gilliard avait transmis à son éditeur les épreuves corrigées de Bokèts po l’ dêrène chîje . La première édition de cette œuvre — une édition artisanale en 50 exemplaires, aujourd’hui introuvable — lui avait valu le prix triennal de Poésie en langue régionale de la Fédération Wallonie-Bruxelles 2005 et était vue comme un incontournable de sa bibliographie. Sa réédition dans une collection de plus large diffusion et avec des adaptations françaises est donc une initiative bienvenue.  Si cette réédition fait œuvre de justice en permettant à la poésie d’Émile Gilliard d’atteindre des lecteurs qu’elle n’a jamais pu toucher auparavant, soulignons qu’elle fait aussi œuvre utile. En effet, elle fournit aux amateurs une réalisation exemplaire, témoin de la richesse du wallon sous la plume d’un auteur qui le possède pleinement, mais aussi des voies audacieuses empruntées par la poésie d’expression régionale depuis le milieu du 20e siècle.Émile Gilliard est en effet un héritier de la « génération 48 », qui a renouvelé cette poésie par la recherche de formes nouvelles et l’exploration de thèmes actuels. Ces jeunes poètes et leurs continuateurs visaient l’universalité, à travers des œuvres qui ne reniaient en rien leur attachement à leur région ni leurs origines souvent modestes.Dans Bokèts po l’ dêrène chîje , Émile Gilliard applique fidèlement ces principes, suivant une route d’abord tracée par Jean Guillaume, son maitre en poésie. Écrites dans les années qui ont suivi son départ à la retraite, les trois séries qui composent ce recueil explorent le regret lié au temps perdu, l’amertume d’avoir dû travailler pour d’autres, la fatigue physique et mentale… Au fil des poèmes, le lecteur découvre une langue particulièrement souple, riche d’adjectifs aptes à traduire, par exemple, les nuances de ce dernier sentiment : nauji [ « lassé » ], scrandi [ « fatigué » ], nanti [ « exténué » ], odé [ « lassé » ], skèté mwârt [ « éreinté » ]…Par endroits, le poète renoue avec la colère qui s’exprimait à plein dans certaines œuvres précédentes ( Vias d’mârs´ en 1961 , Come dès gayes su on baston en 1979) : ’L âront scroté nos tëresèt nos cinses èt nos bwès,à p’tits côps, à p’tits brûts,[…] come dès fougnantsk’on wèt todis trop taurdcand leû jèsse a stî fêteèt k’ tot-à-fêt a stî cauvelé. Dès-ans èt dès razansk’on a cauzu ovré d’zos mêsse,[…] dissus nos prôpès tëres. [Ils auront dérobé nos terres, / fermes et forêts, / peu à peu, sans fracas, / (…) comme des taupes / qu’on détecte toujours trop tard, / quand elles ont accompli leurs méfaits / et qu’elles ont tout creusé. // Une éternité / qu’on a quasi œuvré / sous tutelle, / (…) sur nos propres terres.] Ailleurs, il reprend les questionnements d’ordre métaphysique qui traversaient À ipe , cette autre œuvre importante, rééditée dans la collection micRomania en 2021. Èt si nosse bole âréve bukéconte one sitwale ? […] Èt nos-ôtes bèrôderèt r’nachî à non-syinceaprès l’ dêrène ruwale ? [Et si notre globe / avait cogné une étoile ? (…) // Nous aurions erré, / cherché inutilement / une ultime issue ?] Ces deux veines majeures de l’œuvre gilliardienne — le questionnement sur l’homme et son environnement, la défiance envers l’exploiteur, en communion avec tous les exploités — trouvent un point de rencontre dans les pages les plus fortes du recueil. C’est alors la métaphore de la maison qui exprime la détresse du « je » (non, du « dji » ) face aux communs massacrés au bénéfice de quelques-uns. ’L ont rauyî djustotes lès pîres dissotéyesèt lès tchèssî au lon,à gros moncias.Èt c’èst cauzucome s’il ârén´ ieû v’luchwarchî è vike,chwarchî è m’ pia.Come si l’ maujoneâréve ieû stîon niër, on burton d’ mès-oûchas. [Ils ont arraché / toutes les pierres descellées / et les entasser au loin, / et c’est quasi comme / s’ils avaient voulu / m’écorcher vif, / charcuter ma peau, / comme si la maison eût été un nerf, / un moignon de mes os.] De manière plus explicite, Émile Gilliard fait le lien avec le désastre écologique dans le poème d’épilogue, écrit spécialement en vue de cette deuxième édition. Vêrè ként’fîye on djoûki l’eûwe ni gotinerè pus wêre foû dès sourdants.On s’ capougnerè po sayî d’ ramouyî sès lèpes.Vêrè ki l’ têre toûnerè à trîs et tot flani,ki nos maujones si staureront su nos djoûs,èt nosse lingadje ni pus rén volu dîre. [Peut-être viendra-t-il un jour / où l’eau filtrera à peine de la source. / On s’empoignera pour se rafraîchir les lèvres. / Une terre stérile fera flétrir les plantes. / Notre maison s’écrasera sur nos jours, / et notre langue n’aura plus de sens.] Au possible effondrement des équilibres naturels fait écho ici celui d’une langue. Bokèts po l’ dêrène chîje est aussi traversé des préoccupations d’un homme qui a donné tous ses loisirs à la langue wallonne et laisse parfois libre cours à son pessimisme : « po ç’ k’il è d’meûre : / on batch di cindes èt dès spiyûres, / sacants scrabîyes / k’on îrè cheûre èt staurer sul pî-sinte » [ « pour ce qu’il en reste : / un bac de cendres, des déchets, / des escarbilles / à secouer et à répandre sur le sentier » ]Et c’est en cela que cette réédition prend une valeur supplémentaire : en redonnant à lire des poèmes qui ne taisent pas son sentiment de lassitude et d’isolement, elle nous rappelle que leur auteur a toujours su le dépasser. Émile Gilliard, en effet, n’a jamais cessé d’écrire dans sa langue première et a consacré ses dernières années à d’importants travaux philologiques. Ce livre prend donc, en creux, la valeur d’une ode à sa résilience et à son formidable engagement. Julien Noël Les traductions offertes ici sont les adaptations littéraires de l’auteur. Plus d’information Ce tryptique a été publié artisanalement, en wallon, à compte d'auteur, en tirage restreint, en 2004. Le dernier volet Crèchinces a également fait l'objet d'un numéro des Cahiers wallons . La présente édition est assortie d'une adaptation en langue française. L'ordre des textes comporte des modifications et un poème d'épilogue résume l'esprit du recueil. L'actuelle situation du monde donne à ces poèmes un reflet d'authenticité. Y pointent heureusement des germes d'espérance et de lumière. Le dilemme reste présent : d'un côté, l'appât du gain, du plaisir, du soi-disant progrès, le manque d'amour d'autrui, de l'autre, le respect de l'humanité, de la nature, du climat. L'humanisme triomphera-t-il d'un matérialisme borné dans lequel notre civilisation peine…

Tchansons d’one miète pus lon. Chansons d’un peu plus loin

Les membres de la Société de langue et de littérature wallonnes, qui reçoivent ses publications ordinaires avant même qu’elles n’arrivent en librairie, auront certainement remarqué l’évolution de sa plus vaste collection, « Littérature dialectale d’aujourd’hui ». Au-delà du travail innovant réalisé sur les maquettes, il convient d’observer une inflexion dans le choix des textes : alors que, depuis une bonne décennie, elle proposait des œuvres d’écrivains confirmés — et parfois même des rééditions — voilà qu’ont paru coup sur coup deux premiers recueils. Si Al cwène dès djoûs de Jean Collette , qui réunit plusieurs suites de poèmes, semblait déjà une œuvre de maturité, ces Tchansons d’one miète pus lon marquent l’entrée en littérature d’un nouveau talent, par ailleurs l’un des cadets de la Société. (Qui se souvient que la « petite collection », comme elle est souvent appelée, fut composée à l’origine de plaquettes se réjouira certainement qu’elle joue à nouveau ce rôle de vivier.) Dire que Xavier Bernier est talentueux semble un euphémisme. Il appartient à une nouvelle génération de wallonophones qui, faute de l’avoir appris de jeunesse, ont dû prendre leur idiome à bras-le-corps, en interrogeant sans relâche des parents et en disséquant les meilleurs auteurs (ces chansons sont dédiées à la mémoire de deux maitres, Émile Gilliard et Auguste Laloux). L’on a peine à le croire tant il déploie une langue riche et précise, qui puise directement aux images et aux sonorités du parler de Crupet. Leur lecture rassurera certainement les amateurs quant aux capacités de régénération des lettres wallonnes, qui vivent une période charnière.Mais en miroir — il faut le reconnaitre — la rencontre d’un texte si exigeant peut faire craindre la pénurie de lecteurs. En effet, en dépit des efforts de l’éditeur, qui propose un rappel des principes de transcription Feller, une traduction française en vis-à-vis et cinq pages ramassées de notes et de glossaire, ce type d’œuvre reste difficile d’accès pour un public qui ne possède pas entièrement son wallon. Car si la version française restitue le sens, elle perd certaines allitérations, certains enjambements : Quèwéye d’aveûles au bwârd do trau Onk qui sît l’ôte, tot fiant come s’i Crwêreut qu’i veut pus clér qui li Waîte bin l’ bèle binde di laîds bâbaus ! [File d’aveugles au bord du gouffre / L’un suit l’autre en faisant mine / De croire qu’il voit mieux que lui / Belle bande d’idiots !] Et il en va de même pour les idiotismes, généralement intraduisibles. Dire que le piche-è-l’aye est désinvolte semble trop faible : il est en fait « pisse à la haie ». De même pour le tape-à-gaye (le gauleur de noix, qui frappe au petit bonheur la chance) et le tchîye-à-pouf (le « chie au hasard »), qui perdent aussi de leur saveur. C’èst mi qu’èst piche-è-l’aye Tape-à-gaye Tchîye-à-pouf C’èst vos, m’ fi, qu’èrite do bouzouf ! [Je suis désinvolte / Imprévoyant / Foireux / C’est toi, mon gars, qui hérites du bordel !] Ces deux extraits font entrevoir un thème important du recueil, à savoir les limites planétaires et la critique de l’individualisme. Xavier Bernier est en effet un auteur engagé, qui dénonce aussi la « Forteresse Europe » et la fast-fashion . Il est intéressant d’observer que, ce faisant, il renoue avec une tradition centenaire de la littérature en langue wallonne, qui a souvent — et notamment dans ses débuts moralistes — prêché le principe de l’égalité de tous devant les drames. Comme Nicolas Defrecheux a pu dire, dans des vers réédités à l’occasion de la dernière Fureur de lire , «  Qui t’ plèce so l’ monde seûye basse ou hôte, lès måleûrs todi t’ac’sûront  » [«  Que ta place sur le monde soit basse ou haute, les malheurs t’atteindront toujours  »]. Xavier Bernier tance le consommateur irresponsable : Ti t’ pous bin mète à djok su t’ twèt Ou d’djà ataquè à couru Gn’a pus qu’ deûs maniéres di moru Si ti n’ néyes nin, ti crèverès d’ swè [Tu peux te percher sur ton toit / Ou déjà commencer à courir / Il n’y a plus que deux manières de mourir / Si tu ne te noies pas, tu crèveras de soif] Est-ce à dire qu’il se place dans l’exacte continuité d’écrivains qui, avant lui, ont exalté en wallon la vie simple et la sagesse populaire ? Du tout. Il cherche plutôt sa propre voix, entre émerveillement du quotidien et solidarité par-delà les frontières, y compris les frontières taxonomiques. Mi, dji n’è vou nin, d’ vos racènes Èt dji n’ vou nin d’meurè stitchi Tot tchantant, mès pîds dins l’ansène Ou dins l’ crausse aurzîye do pachi [Je n’en veux pas, de tes racines / Et je ne veux pas rester fixé / Chantant, les pieds dans le fumier / Ou dans l’argile grasse du verger] Le meilleur exemple est sa Tchanson po lès mouchons , qui reprend un air traditionnel quelque peu carnassier. Mais, sous sa plume, « Dj’ê stî al tchèsse aus p’tits mouchons / Dj’ènn’ ê tuwè pus d’on million » [ « J’ai été à la chasse aux petits oiseaux / J’en ai tué plus d’un million » ] devient… Avoz choûtè lès p’tits mouchons Qui tchantenut chaque si p’tite tchanson ? [ As-tu écouté les petits oiseaux / Qui chantent chacun sa petite chanson ? ]Gageons que c’est grâce à de nouveaux bardes comme lui « Qui l’ môde va d’abôrd riv’nu do tchantè è walon / Èt r’chuflè dès-aîrs do timps d’ nos ratayons » [ « Que chanter wallon reviendra à la mode / Tout comme siffler des airs anciens » ]. Julien Noël Les traductions offertes ici sont les adaptations littéraires de l’auteur. Plus d’information Aves ces Tchansons d’one miète pus lon , Xavier Bernier se sert des mots percutants et des images fortes du wallon namurois pour explorer les questions du présent. Europe-forteresse, dérèglement climatique, mais aussi émerveillement devant la beauté, attachement à l’enfance, vie amoureuse… L’auteur envisage ces thèmes universels en puisant aux sources les plus locales (La Marie Doudouye) comme les plus exotiques (Cesária Évora ou Antonio Carlos Jobim). Ce recueil captivant, qui célèbre la diversité et l’héritage, et où chaque terme est choisi pour sa sonorité ou son rythme, est un appel à résister à l’uniformisation…