Auteur et illustrateur de Déogratias
Fort de cette première expérience dans la collection de prestige des Éditions Dupuis, Jean-Philippe Stassen va y publier en solo des livres au ton singulier, Louis le Portugais (qui prend sa ville, Liège, pour décor) et Thérèse (qui aborde la douloureuse question du retour au pays). Deux ouvrages qui montrent déjà à quel point Stassen s’intéresse aux laissés-pour-compte. On y observe avec attention le développement d’un graphisme marqué par le mariage entre une peinture naïve d’origine africaine s’exprimant notamment au travers de couleurs vives et le dessin de bande dessinée franco-belge, marqué par le cerné noir.
Jean-Philippe Stassen publie ensuite Déogratias en 2000, (Prix France Info), ayant pour cadre le Rwanda avant et juste après le génocide de 1994, Pawa, chronique sur ses séjours rwandais (paru en 2002 chez Delcourt), et, dans son sillage, Les Enfants (à nouveau dans la collection « Aire libre » des Éditions Dupuis). À partir de là, Stassen change de statut. Il n’est plus seulement un auteur complet. Il devient une sorte de journaliste. Non pas comme Joe Sacco ou Étienne Davodeau. Son terrain de prédilection reste la fiction. Mais il témoigne de ce qu’il a vu, lu, appris lors de ses nombreux séjours au Rwanda et dans toute l’Afrique des Grands Lacs en le transposant dans des histoires touchantes, voire terrifiantes, tant elles sont ancrées dans le réel. Jean-Philippe Stassen entame avec ces livres un combat en faveur d’une littérature de bande dessinée engagée, posant un regard intelligent et acéré sur une région de l’Afrique trop souvent présentée à travers des visions tronquées, partiales ou peu informées.
Grand voyageur, Stassen a parcouru très jeune les routes et les pistes de l’Algérie, du Maroc, du Sénégal et du Burkina Faso avant de cingler vers le cœur de l’Afrique. Ce n’est sans doute pas par hasard qu’il a illustré le roman Au cœur des ténèbres de Joseph Conrad pour les Éditions Futuropolis. La noirceur des récits publiés ces quinze dernières années s’exprime particulièrement dans les scènes nocturnes. Sous les cieux étoilés d’Afrique, l’absence de lumière artificielle confère souvent à ces scènes des aspects dramatiques intenses.
Délaissant provisoirement la bande dessinée sous sa forme traditionnelle, les deux derniers travaux de Jean-Philippe Stassen s’apparentent davantage au travail documentaire en bande dessinée. À l’hiver 2008, il réalise un premier reportage pour le magazine XXI à Gibraltar. Et à l’été 2010, pour le même magazine, il raconte la région du Kivu, en République démocratique du Congo, une province secouée par la guerre depuis une vingtaine d’années. Son regard de spécialiste se double d’une approche humaine véritablement empathique. (T.B.)
Lauréat de la bourse de congé sabbatique 2009-2010
Éric Derkenne a fait du visage le théâtre de ses précises opérations.Jour après jour cerné de lignes ombrageuses, le siège du combat se disloque en de sombres cavités. Les yeux, les oreilles, les narines, la bouche sont autant de gouffres que l'artiste sonde inlassablement et qui emportent celui qui les scrute dans des tourbillons vertigineux. Les têtes prennent corps et dans ce bataillon de figures totémiques, chaque soldat se distingue grâce à une infinité de détails graphiques.Parti d'un bigbang de formes colorées et isolées dans l'espace, Éric Derkenne a mis en place au fil des ans une méthode précise et immuable, un réseau de circonvolutions de cercles et de serpentins qui envahit la feuille blanche, donnant naissance à d'énigmatiques portraits. Tel une « dentellière du stylo à bille », il s'est abîmé avec application dans ce lent ouvrage de tissage, d'entrelacement de lignes, ceignant sa propre image, par maints assauts répétés. À l'identité qui défaille, Éric Derkenne a répondu…