– Mon tourment, disait Scipio, la sent s'agiter en un songe au-dedans de moi, captive et s'épuisant en efforts pour délier ses lasses mains opprimées de chaînes. (C'était près d'un canal, à Venise, le solitaire atelier de ce jeune sculpteur, favori des patriciennes, et dont les marbres ressuscitaient les rythmes de Florence.) Mon esprit est la maison de fleurs e de musiques où, dans un taciturne crépuscule qu'ajoure uniquement la fenêtre de mes prunelles, se meut cette belle personne. Nul jamais, derrière le mystère de mes yeux pleins d'elle et qui, cependant, tout illuminés des flambeaux de sa grâce, épaississent une volontaire nuit, de peur qu'un autre surprenne leur secret sur l'éblouissant reflet qu'elle y incruste, nul ne soupçonna son corps de silence et de sommeil, — nul l'impérial mépris de son flanc pour l'injure des stupres immondes, car cette Dame de Volupté, fiancée à mon âme pour des noces spirituelles, enjouit le désir en se défendant de l'exaucer. Telle qu'elle habite en la maison de mon esprit, elle est l'irréalisable désir d'amour que résout seule la mort et le leurre éternel des voluptés qu'aucune possession humaine ne peut assouvir. Devant la virginité scellée de sa ceinture, démentie par les promesses de l'illusoire offrande de sa nudité, les hommes, en vérité, je vous l'atteste, se tortureront de soifs atroces, tendant vainement les bras vers un baiser toujours éludé.
«Mais, ajouta-t-il en retombant accablé sur des coussins, tout cela n'est que du songe; tant que la main d'une sœur parmi les autres femmes, belle autant qu'elle (et hormis une seule, s'en pourrait-il trouver qui l'égalât en splendeur?), tant que cette main, en un pitoyable dessein de délivrance, ne tirera pas le verrou derrière lequel s'éplore sa captivité, la créature immatérielle et nuptiale qui s'agite en la prison de mon âme, sur le roc acéré de mon âme (Andromède à qui Persée même serait insecourable!) s'éternisera à l'abstrait symbole inclus en mes hermétiques dilections!
– Et sans doute (après une pause insinua en souriant la très magnifique Impéria Cavenova, celle-là même qui fut la propre fille du grand pétrisseur de déesses et de dieux, le jovien Cavenova, et dont il semblait avoir modelé sur les hiératiques idoles de l'Hellade la substance incomparable), et sans doute, enfant, votre génie, déjà déliant son transitoire sommeil actuel pour l'enchaîner à son indéfectible sommeil de statue (car les marbres ne cèlent-ils pas des âmes dormantes pour notre agitation en mille sens dispersés comme l'écume des océans?) lui a départi le geste et l'attitude avec lesquels s'exerceront dans les siècles les sorcelleries de cette cruelle Mélusine?
(extrait de Dame de Volupté. – La belle Impéria)
Table des matières
Préface
DAMES DE VOLUPTÉ
Dame de Volupté. – La belle Impéria
Le Corps de Christ
Le Cœur trépassé
L'Inconnu
Les Trois Rolis
Dame de Volupté. – Chair et Esprit
Les Pâques du Cœur
Psychologie d'hiver
L'Homme qui tue les Femmes
Le Bonheur dans le Désir
Une Passion d'enfant
À la Pension
Sœur Colette
Dame de Volupté. – La Dame voilée
Les Gâteaux des âmes
Les Frères homicides
La Haine dans l'Amour
L'Amour dans la Mort
Le Carillonneur
Esthétique
L'ENFANT DU CRAPAUD
La genèse de « l'Enfant du Crapaud »
Notes sur les dédicaces de
Dames de volupté
Table des matières