S’agit-il d’une méditation poétique, d’une pensée opérant sur la condition de l’auteur doublement confronté à la vie et à son écriture ? Ou de fragments où viennent s’inscrire entre la prose introspective et la solitude arpentée ? En définitive, tout cela se trouve à divers titres ou de diverses manières dans cette suite d’aphorisme dont on ne saurait dissocier l’une ou l’autre de ses multiples formes d’expression.
Auteur de À propos de tout et surtout de rien
Il existe dans l’ensemble des littératures une tradition de l’écrit aphoristique qui traverse les temps et les modes. Les théoriciens sont nombreux à s’être penchés sur ce genre, cherchant à en délimiter les contours, en définir les caractéristiques, à clarifier les termes en distinguant notamment maxime, sentence, pensée ou aphorisme. Blanchot, Barthes ou Valéry par exemples ont interrogé les œuvres de Joubert, de La Rochefoucauld, de Lichtenberg, de Schlegel. Sans évoquer ici les différents enjeux terminologiques qui ont pu animer ces débats, il est bon de rappeler néanmoins l’intérêt accru, depuis plusieurs décennies, pour l’écriture du fragment comme genre ayant ses propres codes.L’interrogation porte donc bien sur le côté…
Mal blessée. Journal philo amoureux 2.0 d’un enfant du siècle
Olivier Terwagne a retrouvé le journal de Constance dans une maison inoccupée de Chimay et tente, dans cet ouvrage, d’assembler des fragments pour nous livrer des traces de vie de la jeune fille. L’historien ne nous donne pas à lire ici un témoignage lisse, structuré et exhaustif de l’héroïne. Il est en effet « difficile […] de lancer un avis de recherche pour retrouver une femme qui “n’existe pas” ». C’est donc à travers des aphorismes, des photos, des contes, des lettres et de nombreux poèmes que nous découvrirons les morceaux de vie de cette jeune femme un peu paumée. Amoureuse d’un Kiriakos grec passionné d’hellénisme, qui a accessoirement une femme et trois enfants, Constance nous fait part de ses questionnements et réflexions sur cet amour, la vie et « ce bordel dans [sa] tête ». Passant constamment du coq à l’âne, elle effectue un va-et-vient régulier entre la culture belge et grecque, en citant de multiples autres références culturelles : elle nous emmène dans un grand écart entre Brel, David Bowie, Périclès, Nietzsche, André Rieu, Truffaut, Steve Jobs, Brassens, Desplechin et j’en passe (sic !). À cela, vous ajoutez une passion pour les rimes, les oxymores et les idées engagées un brin subversives, vous avez alors un bref aperçu de ce qui vous est donné à lire. Accrochez-vous, il faut suivre ! Entre reconnaissance des exclus Et exclusion des connaissances Entre utopisation et mythologisation Entre récit saturé de la fin et récit fondamental des origines Entre le choix du retour à et la dissolution sans retour Entre l’effort de vérité et le confort des postvérités Sur ces entrefaites Je vous laisse au choix impossible Qui est réellement Constance ? Une actrice qui écrit un manuscrit dont nous saurons peu de choses. On sent vibrer une âme romantique et difficile à dompter : « Je me vis mieux à l’envers », « On ne possède pas les clés de sa propre maison », « Je me suis inventé des rêves », « Mes histoires d’amour n’en finissent pas de commencer ». Dans ce journal, le célèbre « je est un autre » est palpable et on l’approche à petites touches. Notes de casting – Actrice haut potentiel mais trop indocile – Aucune connexion dans le milieu (n’est pas « fille de ») – Côté sauvage intéressant mais pas « bankable » – Jouer sur la belgitude pour vendre l’image (mais déjà-vu) – Peut passer du rire aux larmes en trois secondes – Peut nous faire chier en trois secondes aussi – Problème avec la nudité – Promotion canapé impossible – M’a traité de sexiste – Trop intelligente – Féministe – Mélange de Liv Ullman et de Romy Schneider – Bilan : À recontacter pour une comédie douce amère Les fragments de ce journal de mal blessée nous apprennent à aimer Constance à travers ses mots, sa rébellion et sa douce poésie, mais aussi à travers tout ce qui n’est pas dit. On sent l’attachement d’Olivier Terwagne à cette anonyme que tout le monde a oublié sauf lui et son implication authentique à vouloir nous transmettre ce témoignage. Faut-il chercher ? Tout expliquer ? Laisser sa chance à l’ellipse et aux failles spatio-temporelles ? Laisser parler les fantômes incorporés en nous ou à jamais les réduire au silence ? Je me suis attaché à ce couple et à ces deux personnages dans leur singularité. Elle, très intelligente, bipolaire, philosophe, érotique, fragile, alcoolique, nostalgique, terriblement vivante, artiste, actrice… Lui, mystérieux, taciturne, lucide, enraciné, voyageur, poète… L’interaction entre la Belgique et la Grèce est un sujet rarement traité. Accéder à soi-même et au monde par les signes d’humanité dont sont dépositaires les textes de nos héros. La culture comme accès à soi. Comme révélation. Mal blessée , un récit qui nous fait toucher à l’énigme de…