Pourquoi suis-je absolument certain que la voix que je viens d'entendre est celle de Nathan? Est-ce parce que je me souviens de certains propos de Sandra?
Voilà qui semble paradoxal. Sandra tenait Nathan pour l'intelligence incarnée. Or, appeler un inconnu en pleine nuit pour lui crier une injure est d'un imbécile… d'un imbécile, ou d'un homme dont l'esprit peut devenir pervers sous la poussée de certains sentiments.
Mais comment préjuger des sentiments de Nathan? Là aussi, je n'ai pour me guider que des souvenirs, et Sandra ne parlait pas volontiers du bonhomme. On eût dit qu'elle avait honte de l'avoir, à un moment donné, trop pris au sérieux. Non qu'elle l'ait aimé.
– Il m'arrivait quelquefois de le craindre, me confia-t-elle un jour. Et cela lorsque dans ses yeux passait de la bonté ou sur son visage de la douceur. J'avais alors l'impression qu'une rupture d'équilibre me mettait en danger. Bien entendu, tout cela était absurde. Assez rapidement, j'ai pu me convaincre que je me faisais un monde d'une taupinière.
J'en étais beaucoup moins sûr qu'elle. Mais Sandra avait une manière de fraterniser avec le péril qui le désarmait. On eût dit qu'entre elle et lui se nouaient mieux que des relations : des connivences. Aussi se récriait-elle chaque fois que je tentais de lui prouver que Nathan lui avait fait courir de grands risques.
J'écris Nathan… Elle ne l'appelait pas ainsi. Elle ne m'appelait pas davantage Pierre.
– Oh, disait-elle légèrement, pourquoi donnerais-je à un homme le nom dont on le gratifia le jour de sa naissance? C'est affaire entre sa mère et lui.
Elle soupirait.
– Je rebaptise tous mes amis. C'est une façon de m'assurer une nostalgie, une survivance dans leur pensée : ce nom qu'ils perdent en me perdant et qui, quelquefois, alors qu'ils croient m'avoir totalement oubliée, les force à se retourner dans la rue, comme si une main se posait sur leur épaule…
Table des matières
Préface, par Claire Lejeune
Portrait, par Fernand Verhesen
À la poursuite de Sandra
Bibliographie