Auteur de 36 outils conceptuels de Gilles Deleuze. Pour mieux comprendre le monde et agir en lui
Gilles Deleuze ! Qui voudrait encore le lire ? Se perdre puis se retrouver, un peu, puis se reperdre, beaucoup, dans les méandres d’une des pensées les plus vagabondes et les plus libres du siècle dernier ? Qui ?Pas les tenants du statu-quo, les cyniques à-quoi-bonistes ou les sempiternels râleurs et découragés de la vie, en tout cas ! Pas ceux et celles, non plus, qui se contentent des livraisons expresses de la pensée, du prêt-à-penser.C’est que pour lire Deleuze, il ne faut pas avoir peur de perdre pied. De se laisser couler. De remonter les moindres petites flaches, petits cours d’eau. La pensée de Deleuze est un milieu. Un territoire. On n’explore pas un milieu de façon « logique ». On y va au petit bonheur. De façon…
Auteur d’essais sur Pierre Drieu de la Rochelle , Camille Lemonnier , de romans ( L’enfance…
Pour trouver la clé, il fallut perdre la mémoire des serrures
La prose poétique, les essais de Claire Lejeune (1926-2008) sont placés sous le signe de la fulgurance, d’une poétique radicalement novatrice qui entend décloisonner les savoirs, les expériences afin de traverser les chapes du pouvoir, de la domination et de recontacter les promesses à venir des origines. Dans les années 1960, La gangue et le feu, Le pourpre, La geste, Le dernier testament, Elle signent l’avènement d’une parole qui noue indissolublement naissance à soi hors des rets du patriarcat, expérience mystique d’un verbe politique et poétique, subversion des piliers d’une civilisation qui a muselé les femmes. De se dire, les sans-voix montent à l’existence, gagnent un processus de subjectivation que Claire Lejeune place sous le signe de l’ouverture à l’autre de la raison et aux terres du symbole. « Nous ne faisons pas la poésie. Elle nous fait de nous défaire » écrivait-elle. Pour trouver la clé, il fallut perdre la mémoire des serrures nous livre de souverains textes inédits choisis par Anne André, Danielle Bajomée et Martine Renouprez, des poèmes à fleur de lave, d’inquiétude, d’un questionnement viscéral, des lettres de sa correspondance avec Maurice Blanchot, avec René Char, avec René Thom, des textes sur les puissances du symbole, accompagnés de photographismes de Claire Lejeune. Le régime de la création est celui de la nudité, de l’extraction hors de la non-vie. Afin de phraser ce qui échappe au monothéisme d’une pensée vertébrée par la Loi — Loi de Dieu, de son substitut, le Père —, il faut inventer une langue-corps, une langue sororale, conquise sur les cendres du divin. « La mémoire de la clé — de l’origyne — s’est perdue, car au nom du Père, sa langue fut coupée, interdite de transmission ».L’entrée en écriture, la conquête d’un soi altéré, diffracté riment avec violence, dépossession, extase mystique sans Dieu, un Dieu confondu pour son imposture. Lire aussi : De la patrie à la fratrie , par Claire Lejeune ( C.I. n° 79) Au travers des extraits de la correspondance avec Maurice Blanchot (une correspondance qui se noua dès 1968 et se prolongea jusqu’en 1994), on mesure toute l’audace d’une entreprise sans équivalent dans les lettres, une démarche radicale qui fut, tout à la fois, poétique, existentielle, intellectuelle, politique. Celle qui porta la blessure immémoriale de la Femme pour la retourner en chant libérateur, celle qui dressa un auto-portrait sous la guise d’une « clandestine, d’une contrebandière de la pensée » fait de la pensée l’instrument de métamorphoses intérieures, d’un recommencement de l’Histoire. Pour gagner une vie supra-individuelle, il s’agit de traverser des seuils, d’être « lourde du Verbe » afin d’« enfanter Le langage ». Réinvention d’une origine barrée et d’une langue mutante, arrachement aux ruines, à la logique des dualismes et délivrance vont de pair. Dans Mémoire de rien, Le Livre de la sœur, Le Livre de la mère, Claire Lejeune défait les héritages mortifères, au fil d’une généalogie où Nietzsche côtoie Lilith, Rimbaud, Héraclite.Au travers de sa poétique sauvage, de l’indompté, du corps soustrait à la tyrannie de l’esprit rationnel, Claire Lejeune nous lègue un vertige de sensible en acte, de concept en mouvement. Comme René Char le lui écrivait dans une lettre de 1966, « Il manquait à la poésie de ce temps une voix pourpre. Nous l’avons désormais ». Véronique…
La fiction postraciale belge : Antiracisme afrodescendant, féminisme et aspirations décoloniales
Si on oublie souvent que le racisme est une idéologie fluctuante, variable selon les cultures, les pays, les groupes sociaux…, on réalise encore moins que son pendant, l’antiracisme, n’est pas une valeur universelle (ce fameux universel, qui lui aussi pose bien des questions), intemporelle et détachée de tout contexte. Il suffirait pourtant, par exemple, de réunir des militant·es de la mouvance « Touche pas à mon pote » des années 1980 et des activistes décoloniaux d’aujourd’hui pour provoquer de vives discussions, mesurer l’ampleur du décalage idéologique alors que tou.tes aspirent à une société égalitaire. Mais quarante ans de recherche, de luttes, d’évolution de la société les séparent. Parmi ses nombreuses utilités, l’ouvrage de recherche de Sarah Demart , La fiction postraciale belge. Antiracisme afrodescendant, féminisme et aspirations décoloniales , a notamment celle de mettre à jour la façon belge de concevoir le racisme et l’antiracisme – d’autant qu’en Wallonie et à Bruxelles, la tendance reste forte de se référer à la tradition et à la réalité françaises pour interpréter les phénomènes culturels et sociaux. La singularité de notre racisme et de notre antiracisme s’explique autant par la complexité identitaire belge et le mode de nous (re)représenter, comme « petit pays convivial et sans ambition impérialiste » que par la réalité politique : Dans le contexte fédéral belge, l’antiracisme est une réalité difficile à définir. D’une part, il s’inscrit dans une politique plus large de lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité des chances. D’autre part, la politique de l’égalité des chances est répartie entre différents niveaux d’intervention et domaines de compétences qui sont plus ou moins articulés entre eux. Avec la complexité de la répartition des compétences entre le fédéral, les Régions et les Communautés, on imagine assez facilement le travail que doivent déployer et les freins que doivent affronter les militant·es antiracistes qui souhaitent se démarquer de l’antiracisme mainstream (c’est-à-dire celui qui relève de la société civile et du secteur associatif subsidié) ou visent à combattre le racisme d’État.Sur le plan méthodologique, l’autrice concentre son étude sur la Belgique francophone et montre les effets négatifs de la fiction postraciale (dans le sens de création imaginaire , non dans son acception littéraire) sur les courants antiracistes. Dans cette fiction postraciale , la race n’a plus d’importance ou de réalité, le racisme relève d’attitudes individuelles sans lien avec le projet colonial historique des États européens ni avec les structures sociales. À partir d’une enquête de terrain de longue durée (2011-2019) dans les milieux militants et d’une réflexion théorique nourrie des textes fondateurs et des recherches internationales les plus récentes, Sarah Demart montre qu’une large part de l’antiracisme belge – qu’il soit « mainstream », d’État ou juridique – tend à minimaliser, voire à ignorer le racisme anti-Noir·es. Il invisibilise les revendications des milieux afrodescendants, délégitimise leurs associations, refuse aux populations racisées (c’est-à-dire soumises à une assignation raciale) une place pleine et entière « en dépit de leur inscription de longue date dans l’espace national belge, en tant que sujets (post)coloniaux » même s’il tend, ces dernières années, à s’ouvrir aux diasporas.S’il ne s’agit pas ici de discuter les arguments de cet essai, parfois aride et écrit selon les normes de l’édition universitaire, on peut toutefois affirmer qu’il constitue un outil précieux pour aider à repenser, voire à transformer les pratiques et les conscience politiques au sein des luttes militantes antiracistes belges. On ne peut que souhaiter qu’un jour, il soit adapté pour un public plus large. Michel Zumkir La fiction postraciale est l'idée selon laquelle le racisme est une affaire individuelle et/ou une idéologie relevant au mieux de l'aberration, au pire de l’extrémisme. Elle est ce qui fonde les pensées antiracistes dominantes et empêche de penser le racisme à partir du projet colonial des États européens et de la longue histoire impérialiste occidentale. Depuis maintenant plusieurs années, la fiction d'une ère postraciale fait l'objet de virulentes contestations, eu égard à l’ignorance et au déni dont elle procède. Cela se traduit par une fracture profonde dans l’antiracisme : quelle place accorder au racisme anti-Noir·es et au colonialisme dans les politiques européennes de lutte contre le racisme ? À partir du cas particulier de la Belgique francophone et d’une ethnographie de longue durée au sein des milieux militants (2011-2019), cet ouvrage examine de manière fine les conditions de possibilité d’un antiracisme afrodescendant. Les différentes conversations antiracistes qu’engage la reconnaissance du racisme anti-Noir·es sont ainsi examinées à plusieurs niveaux : microsocial (rapports interpersonnels), mésocial (organisations) et macrosocial (cadre institutionnel et politique). Elles sont restituées à l’appui d’une sociologie critique nourrie par les épistémologies féministes, noires et postcoloniales/décoloniales et par l’étude de l’ignorance et de la race. Elle est ce qui fonde les pensées antiracistes dominantes et empêche de penser le racisme à partir du projet colonial des États européens et de la longue histoire impérialiste occidentale. Depuis maintenant plusieurs années, la fiction d'une ère postraciale fait l'objet de virulentes contestations, eu égard à l’ignorance et au déni dont elle procède. Cela se traduit par une fracture profonde dans l’antiracisme : quelle place accorder au racisme anti-Noir·es et au colonialisme dans les politiques européennes de lutte contre le racisme ? À partir du cas particulier de la Belgique francophone et d’une ethnographie de longue durée au sein des milieux militants (2011-2019), cet ouvrage examine de manière fine les conditions de possibilité d’un antiracisme afrodescendant. Les différentes conversations antiracistes qu’engage la reconnaissance du racisme anti-Noir·es sont ainsi examinées à plusieurs niveaux : microsocial (rapports interpersonnels), mésocial (organisations) et macrosocial (cadre institutionnel et politique). Elles sont restituées à l’appui d’une sociologie critique nourrie par les épistémologies féministes, noires…