1993 | Objectif plumes

1993

À PROPOS DE L'AUTRICE
Yun Sun Limet

Autrice de 1993

Née à Séoul en 1968, Yun Sun Limet, après des études de philologie romane et un diplôme d’écriture et de littérature de cinéma et de télévision, travaille à Paris dans le domaine de l’édition. Elle décède le 17 juin 2019, arrachée à la vie par la maladie, laissant une œuvre romanesque et essayiste de grande cohérence. Détentrice d’une thèse de l’UCL et Paris 8, Yun Sun Limet consacre à Maurice Blanchot critique (La Différence, 2010) une étude où elle s’attache à montrer, contre l’image généralement répandue d’un trajet fait de ruptures, la continuité entre le jeune homme soucieux d’engagement politique, le théoricien de la littérature et l’écrivain. Dans l’article sur « Entre-temps, Intertextualité et critique » (2006), Yun Sun Limet précise que « le texte critique n’est pas seulement ce discours superflu, qui vient se greffer sur les œuvres tel un parasite, il est indissociable de l’écriture même des œuvres, parce qu’il indique, rend visible peut-être, ce que l’œuvre elle-même doit aux œuvres qui l’ont précédée et qu’elle poursuit. Il peut, dans cette perspective, n’être donc pas discursif, mais constituer une dimension du texte ». Dans son essai De la vie en général et du travail en particulier (Les Belles lettres, 2014), elle précise aussi que « nous faisons semblant d’étudier de façon scientifique et détachée des questions qui, dans le fond, nous sont intimes, insues ». Or cette question centrale, pour Yun Sun Limet, est celle de la fragilité du vivant, qui se retrouve dans chacun de ses écrits, qu’ils soient de critique ou de création. De 2004 à 2012, quatre romans paraissent, dont l’intrigue repose sur les hasards qui peuvent, cruellement, faire s’effriter le bonheur. Les Candidats (La Martinière, 2004, rééd. « Espace Nord ») relate les bouleversements qui suivent le décès par accident des parents de deux jeunes enfants confiés à des amis ; Amsterdam (L’Olivier, 2006) suit la débâcle d’un musicien qui rate à la fois sa carrière et son histoire d’amour, et finit emporté prématurément par le cancer ; 1993 (La Rue de Russie, 2009) livre le carnet intime d’une fille-mère qui confronte sa dégringolade sociale au trajet de battant de Pierre Beregovoy ; Joseph (La Différence, 2012, finaliste du Prix Rossel) retrace le destin d’un oncle disparu à la fleur de l’âge dans un accident de moto, un drame qui trouve un écho insoupçonné dans la vie de la narratrice. Dans chacune de ces fictions se lit le respect profond des gens de l’ombre. Ce motif innerve également ses textes brefs : les récits publiés sur remue.net dont elle était membre du Comité de rédaction (La Disparition, Maison à vendre, La machine à broyer, Suis née au printemps 68, Par les rues, Après dissipation des brumes matinales, Ferry Tale, Sky link, La Disparition), ou dans des collectifs (dans La nuit remue et Fenêtres sur court), mais aussi le conte-opéra pour enfants Timouk l'enfant aux deux royaumes, (Livre-CD, Didier Jeunesse, 2014) et le court métrage N’aie pas peur (productions Dimanche compris, 2019). Un fil relie les thèmes des fictions de Yun Sun Limet avec son intérêt porté à Maurice Blanchot qui a fait œuvre dans la conviction que « la vie porte la mort et se maintient dans la mort même », et aussi à Cioran (Cioran et ses contemporains, Pierre-Guillaume de Roux, 2011), deux auteurs profondément marqués par la tragédie de la guerre. Il se retrouve encore dans son attachement à Henry Bauchau, à qui elle a consacré plusieurs études visant à éclairer son passé non-littéraire (e. a. dans Les Lettres romanes 1995, et l’E-book et catalogue de l’exposition de 2013 Henry Bauchau : à l’épreuve du temps ) ; cet auteur disait écrire pour « le peuple du désastre », c'est-à-dire les démunis, les déclassés et, à près de 90 ans, il sentait la mort présente à chaque instant au cœur du vivant et disait que cela « n’est pas triste ; simplement cela est ». Au centre de chacune de ses œuvres, la romancière fait, elle aussi, ressentir l’action impitoyable de la mort, et en même temps la beauté de la vie au quotidien qui n’est jamais qu’une lutte continue contre la fin promise. Le « bonheur de l’instant qui est éternité, et qu’il faut vivre comme tel », écrit-elle. La continuité entre fiction et non fiction est aussi palpable dans son écriture. La langue romanesque de Yun Sun Limet est fluide, d’une sobriété tout en finesse qui permet d’aborder des questions d’une grande complexité sous des formes extrêmement efficaces qui s’accordent à une pensée toujours claire. L’auteure rend le lecteur attentif aux moindres détails pour l’amener à se mettre à l’écoute des êtres « invisibles » que l’on côtoie chaque jour sans leur prêter attention, et à comprendre la dignité de chaque destinée humaine. Ainsi, dès les premiers écrits, le propos est grave, et empreint d’une forme de sagesse qui s’impose au sein d’un univers imaginaire qui n’a rien de pesant, mais se déploie au contraire dans une sensibilité et un ton naturel qui rendent les personnages familiers et attachants. La condition d’enfant adoptée en Belgique de Yun Sun Limet, « la sœur de personne et une fille d’invention », l’a prédisposée à comprendre combien la mort peut se trouver intimement tressée à la vie, à quel point l’on peut être vulnérable, et comme il importe de préserver la confiance dans l’humanité. Cet univers littéraire de profonde intelligence et de générosité, soutenu par une émotivité contenue, s’ancre dans une authenticité de parole aux antipodes des littératures qui misent sur le choc, la revendication et autres recettes de médiatisation. Il s’attache à rendre perceptible la noblesse d’âme des êtres discrets. La qualité de ton et d’écriture apparaît ainsi également au diapason de la posture littéraire de l’auteure qui, tout en vivant à Paris dans le milieu de l’édition, ne cherche aucunement à en tirer ni avantage ni panache.
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Le Carnet et les Instants

Sobrement intitulée 1993, cette longue confidence de femme, tout individuelle qu’elle soit, dans le ressenti et sa communication, dans la réticence elle-même, est une trace d’Histoire. Ces « cahiers », en effet, ressortiraient à la discipline récente de l’histoire de la vie privée s’ils n’étaient de fiction. Mais le sont-ils totalement, alors que le mot roman n’est avancé qu’à la page de titre ? Peu importe d’ailleurs, l’essentiel est qu’ils parlent vrai. D’emblée, le texte nous fait pénétrer dans l’intériorité d’une réflexion, peut-être en cours depuis longtemps, comme le laisse pressentir la première phrase : « Je n’ai toujours pas trouvé de sens à ma vie ». Le ton aussi, traduit trahit la pensée…


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