Avec Odyssée de merde, Antoine Breda embarque ses lecteur·rices pour un road-trip qui n’en finit jamais vraiment de démarrer. Direction les Ardennes belges depuis Bruxelles… du moins c’était le plan. D’un trait rond, vivant, généreux en détails, l’auteur nous plonge dans le quotidien de Sarah, engluée dans son lit et dans une léthargie qu’elle essaye de quitter tant bien que mal. Au téléphone, elle promet qu’elle est prête, qu’elle ne manquera pas le bus, qu’elle a repris du poil de la bête, qu’elle a même demandé à son voisin de s’occuper de son chat Monique, qu’elles vont bien s’amuser. Mais sitôt raccroché, toute l’assurance se dérobe : elle reste plantée au milieu de son salon, incapable de faire le premier pas.
Trois jours plus tard, on fait connaissance avec Paul, son voisin, absorbé par son jeu vidéo lorsqu’un souvenir le frappe : Merde, le chat de la voisine ! En voulant réparer son oubli, il tombe nez à nez avec Sarah, qui croyant à une intrusion nocturne l’assomme d’un bon coup de basket. Elle n’est jamais partie dans les Ardennes ; il a un peu oublié Monique, le chat ; elle a un peu oublié de le prévenir. De ce malentendu naît un duo improbable et touchant.
Sarah n’a toutefois pas renoncé à son départ. Elle insiste : il faut y aller, maintenant, même en pleine nuit. Paul finit par céder, et iels embarquent, un peu à l’aveugle, dans une voiture pas plus prête qu’iels ne le sont. La route, bien sûr, sera truffée de sorties de route, de demi-tours, de stops, d’imprévus et de rencontres aussi déstabilisantes que salutaires : une famille accueillante mais en plein deuil, un copain sympa mais lourd, un camping chaleureux mais facho, un agriculteur bruyant mais amical, une situation qui vire à la baston… et même la disparition de Monique, qui déplacera les foules pour être retrouvée.
Au fil des kilomètres, Sarah et Paul partent en cavale, il n’est plus question de reculer, iels s'entraînent, s'épaulent ou s'enfoncent sur les routes de la Wallonie profonde. Ces deux êtres un peu déphasés, un peu inadaptés, parfois culottés, mais toujours sincères, apprennent de péripéties en péripéties à réinventer leur manière d’être au monde. Ce périple bancal, oscillant sans cesse entre probable et improbable, devient l’occasion de s’ouvrir, de s’entraider, d’oser. Une odyssée minuscule mais extraordinaire, où les ratés comptent autant que les élans.
Odyssée de merde est une ode aux rencontres imprévues, aux mains tendues qui changent une journée ou une vie. Une aventure généreuse, maladroite, pleine de bizarreries et d'ambivalences qui font à la fois la beauté et la dureté du réel. Une bande dessinée qui rappelle qu’il suffit parfois d’un voisin fan de warhammer, d’un chat affamé et d’un départ à l’arrache pour remettre le monde en mouvement.
Éléonore Scardoni