Avec Les Gugusse en vacances, Émilie Gleason signe une comédie familiale aussi loufoque que touchante, où le chaos des vacances devient le théâtre d’une introspection tendre et explosive. Un récit burlesque et sincère, entre rires, malaises et révélations.
La famille Gugusse est sur le départ : direction le Yolcame, un pays fictif inspiré du Mexique, pour assister au mariage d’une cousine. Dès les premières pages, le ton est donné : toilettes bouchées, RER en panne, valises perdues… et le voyage ne fait que commencer. Cette expédition familiale vire rapidement au vaudeville tropical, entre chaos logistique et tensions affectives. Sous l’humour visuel et les dialogues à la mitraillette, Émilie Gleason ausculte les névroses d’une cellule familiale aimante mais dysfonctionnelle.
Le récit alterne gags burlesques et tendresse rentrée, avec une énergie débordante qui emporte tout sur son passage. Le père Boris, optimiste jusqu’à l’épuisement, Éléana, ado rongée par la culpabilité, Ted, frère imprévisible, ou Balou, benjamin discret : tous prennent vie dans un flux de scènes absurdes et révélatrices.
Un tourbillon graphique aussi drôle que sincère, qui dynamite la comédie familiale avec brio.
Visuellement, Les Gugusse en vacances est un choc. Le style de Gleason, résolument non mainstream, peut rebuter au premier regard : dessin nerveux, corps déformés, couleurs franches. Mais cette exubérance, héritée du fanzinat et de Cartoon Network, refuse toute recherche de beauté classique. Mais ce rejet du lisse n’est pas gratuit : il accompagne une lecture plus fine de la psyché des personnages. Ted, au visage neutre, s’exprime uniquement par le corps. À l’inverse, Éléana, construite en miroir, n’a pas de regard visible mais surjoue chaque émotion, comme si son visage, sans yeux, criait sa peur du regard des autres.
Cette expressivité sert un propos profondément personnel. Car derrière le loufoque, ce roman graphique est une œuvre d’introspection. Gleason s’y raconte à travers Éléana, mais aussi à travers Boris, en mettant en scène vingt ans de souvenirs de vacances familiales. Elle prolonge ici le travail initié avec Ted, drôle de coco (2018), où elle abordait déjà, avec pudeur et humour, la question de l’autisme dans sa propre fratrie.
Initialement pensé comme un album léger, ce livre est devenu pour l’autrice un outil de libération émotionnelle. Elle y traite des souvenirs familiaux, entre exaspérations quotidiennes, malaises enfouis et moments de complicité inattendus. En impliquant ses proches dans l’élaboration du récit, elle transforme la dynamique familiale en matière narrative, entre autofiction, humour et tendresse. La BD devient ici non seulement un espace de création, mais un outil de compréhension, de pardon et de libération.
Née en 1992 au Mexique, Émilie Gleason est une autrice belgo-mexicaine formée aux arts décoratifs de Strasbourg. Révélée avec Ted, drôle de coco (Prix Révélation, Angoulême 2019), elle a aussi signé Junk Food (prix BD d’actualité du Soir) et Robbie. Son style brut et coloré, profondément humain, fait d’elle une voix singulière de la BD contemporaine.
Avec Les Gugusse en vacances, Émilie Gleason livre une comédie familiale aussi drôle que bouleversante, où l’intime devient universel sans jamais perdre sa folie douce.
Christian Missia Dio