Objectif plumes
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Notre critique de Le grand test

À travers une intrigue bien ficelée, riche et nuancée, l’autrice nous fait (re)découvrir les grands dilemmes philosophiques et expériences de la psychologie sociale, dans un roman jeunesse très accessible.

Son tour de force consiste à nous offrir en 250 pages une réflexion puissante sur les lois, l’éthique et la morale. Elle nous pousse dans nos retranchements en même temps que ses personnages : qu’aurions-nous fait à leur place ?

Josepha Calcerano brouille ainsi délibérément nos repères pour nous interroger sur la frontière parfois ténue entre le bien et le mal.

Je dois avouer que la prof en moi ne peut s’empêcher de voir la mine d’or que ce roman court et percutant peut représenter pour des lecteurices occasionnel·les pour qui la lecture n’est pas toujours une évidence. Son potentiel didactique et les débats qu’il suscite promettent des échanges féconds avec les élèves. Elle est d’ailleurs en lice pour le prix Première Victor du livre jeunesse.

Le Grand Test s’inscrit avec succès dans la lignée des romans d’apprentissage dystopiques et le début n’est pas sans rappeler certains best-sellers du genre, comme l’un de mes coups de cœur jeunesse, L’Année de Grâce de Kim Ligget.

Tara vient d’avoir 16 ans. Bonne élève, elle a toujours suivi les règles, sans les remettre en question, convaincue de leur bienfondé. Faire un pas de côté, ce serait ébranler le credo qu’elle se répète : je suis quelqu’un de bien. Elle adhère aux valeurs d’honnêteté, d’altruisme et d’exemplarité sur lesquelles s’est construite la Société Nouvelle. Après tout, n’est-ce pas ainsi que celle-ci a banni la violence et la guerre, en même temps que ses individus (potentiellement) dangereux ?

Et pourtant, lorsqu’elle se voit contrainte de quitter sa famille pour passer une série de tests moraux avec d’autres adolescents de son âge, elle sait qu’elle n’en sortira pas indemne. Parce qu’on ne parle pas du Grand Test. Parce que ce qui se passe au sein de l’Institution pendant une semaine ne doit pas quitter ses murs (et justement, ils ne sont pas anodins ces murs). A-t-elle pour autant conscience que cette expérience la transformera profondément et bousculera ses certitudes ?

Tara peut passer pour une protagoniste naïve et un peu simplette. Mais, à l’instar de Candide, elle voit son système de valeurs se fissurer, en même temps qu’elle ouvre les yeux sur une société qui exclut les neuroatypiques, les hyposensibles, les croyants, les homosexuels… comme autant « d’individus ne disposant pas des habiletés sociales nécessaires à la vie en communauté ». Elle offre aussi une autre héroïne à laquelle s’identifier : une fille sage, mais ouverte d’esprit, qui sort peu à peu de sa chrysalide pour construire sa morale personnelle. Et le coup de génie de l’autrice, c’est de l’entourer de personnages dissonants mais attachants dont on sait qu’ils ne pourront pas tous s’en sortir. Plus les liens entre ces adolescents se font solides, plus on tremble d’arriver à la fin du roman, sans pour autant pouvoir le lâcher. Leur amitié fait voir la force de l’échange et du débat, et l’importance de voir au-delà des apparences.

Ce roman est essentiel. Non seulement parce qu’il met en lumière des questionnements universels et intemporels. Mais surtout parce qu’en ces temps de crise, il est primordial de « garder les yeux ouverts » (comme le rappelle un des tags présents sur les photos qui séparent chaque chapitre) et l’esprit en alerte. Car derrière de nobles intentions peut se cacher les prémices de l’autoritarisme.

Nathalie Nikis