Image de l'oeuvre - La sorcière de Londres

Notre critique de La sorcière de Londres

 

Et si solitude pouvait rimer avec liberté et émancipation ?

C’est une des questions que pose Nina Six dans La sorcière de Londres à travers son héroïne - Stella Benson - et l’héroïne de son héroïne - Sarah Brown. Dans un récit qui en mêle deux, Nina Six nous fait rencontrer une figure majeure de la littérature anglaise. Proche de Virginia Woolf, Stella Benson n'a pas gardé la même aura que son amie mais son travail et ses engagements personnels méritent qu’on plonge tout entier dans son oeuvre!

Londres, 1918. Tous les hommes sont à la guerre et la ville tourne grâce au travail des femmes. Une situation inédite dans l’Histoire dont compte bien profiter Stella Benson qui jongle entre le temps passé avec son chien David, son travail de journaliste, l’écriture de poèmes et de son roman : Living alone - La vie seule. Ce roman raconte l’histoire de Sarah Brown, employée d’un bureau de bienfaisance qui fait la connaissance d’une aubergiste mystérieuse qui semble douée de pouvoirs occultes. En mêlant le récit biographique de Benson et celui fictif de son roman, La sorcière de Londres se joue des frontières entre fantasme et réalité. Vérité et invention.

C’est le traitement graphique qui distingue les deux récits. Les cases tracées et les tons saturés du roman tranchent avec les couleurs pastel et des bords vaporeux des dessins de la biographie. David, le petit chien blanc, brouille les frontières en étant présent dans les deux histoires et parfois, la réalité flirte avec le fantastique.

Ces récits parallèles mettent en avant des femmes hors normes pour leur époque : solitaires, ambitieuses, sans enfant, célibataires choisies. Elles se rencontrent, cohabitent dans des lieux préservés de la guerre et des hommes, vivent des aventures loufoques et des évènements fantastiques qui s’entremêlent à des réflexions profondes sur le vivre ensemble, sur l’égalité, sur la sororité, sur l’auto-détermination et notre capacité à jouer et rire des situations qui nous sont imposées.

Cette bande dessinée questionne aussi notre rapport à la magie. À la définition qu’on en ferait et à comment on peut en saupoudrer notre vie. Stella Benson a posé les bases de la fantasy anglaise, 20 ans avant Tolkien, 80 ans avant la saga Harry Potter. Elle introduit des fées, des sorcières, des farfadets et des actions magiques dans ses romans dès 1917, comme une manière de s’amuser de la rigide réalité et comme un prisme de réflexion sur nos agissements de « mortel·les ». Pourtant, cette avant-gardiste avait les pieds sur terre. Écrivaine, poète, journaliste, dessinatrice de presse… elle militait pour le droit de vote des femmes et s’est engagée dans des causes sociales pendant la première guerre mondiale.

Après des années de recherches et de consultation des archives de Benson en Amérique du Nord et en Angleterre, Nina Six nous offre une bande dessinée lumineuse, joyeuse et réconfortante. La sorcière de Londres est une ode à la sororité, à la détermination et à la solitude choisie. Près d’un siècle après sa disparition, Stella Benson distille toujours sa magie et Nina Six la rend visible au monde.

Pauline Rivière