Image de l'oeuvre - La mesure du possible

Notre critique de La mesure du possible

Dans son livre La mesure du possible, Alain Munoz nous livre une capsule de la vie quotidienne. Une petite bulle en suspension, un non-événement, une situation de tous les jours qui en dit pourtant long. Dans ce court texte de 44 pages, Saïda surveille des enfants penchés sur leurs devoirs scolaires. Quel âge ont-ils ? Dans quel lieu se trouvent-ils ? Qui sont Saïda et Natalia ? Le vide autour des personnages et du contexte de l’histoire entretient le mystère autour de la situation et renforce le ressenti d’être face à un moment de vie hors du temps.

Dans une école de devoirs, Saïda aide la jeune Myriam à faire ses devoirs de maths. Ni l’une ni l’autre n’y accordent de l’importance : Myriam égraine les erreurs sans chercher la bonne réponse à son exercice et Saïda, l’esprit ailleurs, l’écoute énumérer des chiffres sans y prêter plus d’attention. Alors que le récit semble couler comme un quotidien monotone cent fois répété, le petit Hamid vient briser le calme qui entoure la scène en jetant le taille-crayon de Myriam. Aussi rapidement qu’on allume la lumière en appuyant sur un interrupteur, la quiétude s’évapore et la petite Myriam entre dans une crise de fureur dont Hamid est la cause et la victime. Saïda et Natalia s’efforcent de séparer les deux enfants et de ramener la paix et le calme dans la pièce, tandis que les voisins se plaignent du bruit, insensibles au micro-drame qui vient de se produire. Moins d’une heure plus tard, Saïda se retrouve dans le bureau de sa coordinatrice qui a eu vent de l’événement. Lasse, elle l’écoute lui rappeler la nécessité de maintenir le silence pour les ASBL voisines, dans la mesure du possible. Mais est-ce « dans la mesure du possible » d’empêcher des enfants de se disputer ? D’entrer en colère après plusieurs heures d’école et de frustration face à un exercice de maths qui ne fait aucun sens ? Rompue et blasée face à son quotidien et au manque de compréhension évident concernant les difficultés de son métier, Saïda continue sa journée. Comme d’habitude.

Alain Munoz réussit en quelques phrases à faire peser l’ennui et la lassitude de son héroïne sur nos épaules. Un travail sans passion, un quotidien redondant où la joie ne semble pas pointer son nez. Les illustrations mettent en avant ce train-train avec des couleurs grises, marron, pourpre, relativement fades. Mais lorsque la jeune Myriam entre en rage, c’est une explosion de couleurs sur les pages. Tout comme elle, on voit rouge, puis, avec l’apaisement, le rouge se transforme peu à peu en bleu et les figures humaines reprennent leurs places après cet aveuglement de peinture. Avec ce court récit, Alain Munoz nous entraine avec brio dans les pas de ces travailleurs seuls, remparts aux urgences et violences du quotidien pour qui la vie est un long fleuve neurasthénique.

Julie Leclerc