Image de l'oeuvre - La cigale devenue fourmi : Fable à ma fontaine

Notre critique de La cigale devenue fourmi : Fable à ma fontaine

« Et si ? »

C’est un peu par cette question qu’on pourrait introduire le livre dont nous allons parler. Et s’il y avait une suite aux fables de la Fontaine ? Et si on n’avait pas tout dit ? Et si la morale n’était pas là où l’on pense ?

L’illustratrice Dominique Descamps nous invite, depuis plusieurs livres, à poursuivre le sillon de Jean de la Fontaine. Ce dernier n’est plus à présenter. Le plus célèbre fabuliste, si ce n’est peut-être Ésope, a réalisé ses œuvres à la fin du XVIIe siècle. Plus de 300 ans ont donc passé et la culture populaire est toujours imprégnée de la morale du contemporain de Louis XIV et de Molière. Face à  ce constat, nous pourrions nous demander si le monde n’a pas un peu évolué depuis. La Bruxelloise reprend donc « La Cigale et la Fourmi » pour lui proposer une suite, La Cigale devenue Fourmi – Fable de ma fontaine.

Avec ses gouges et son linoléum, Dominique Descamps offre une réponse. Le monde a bien évolué. Sous sa patte, on découvre que « La Cigale et la Fourmi » ont eu chacune une descendance et qu’après un premier hiver à danser car elle n’avait point travaillé de l’été, la Cigale a bien changé. D’artiste, chanteuse, elle s’est résignée pour devenir travailleuse comme la Fourmi, qui lui avait fait la morale. La Cigale est devenue une fée du logis, qui s’échine toute la journée. Elle s’enferme dans un quotidien, qui ne la réjouit pas, au service d’un mari qui n’en fait pas une. La déprime la guette, alors qu’elle oublie peu à peu sa nature profonde. L’insecte a, à suivre la norme imposée, perdu ses dons. Il lui faudra du temps et du travail pour en revenir. Ce travail, qui selon la Fourmi, n’était pas le fort de l’artiste.

L’illustratrice remet les pendules à l’heure. L’art, c’est du travail. Et même un travail acharné, pour évoluer, se perfectionner, acquérir de nouvelles techniques, se réinventer. Elle ouvre une réflexion sur l’utilité de la diversité pour faire société. La Fourmi, travailleuse acharnée, est tout aussi utile que la Cigale sa voisine. Et vice-versa. Dans une société, où l’on veut que tout soit fonctionnel, Dominique Descamps remet la lumière sur ceux qui nous font rêver. Qualité essentielle pour faire évoluer le monde.

Vous l’aurez compris, on pourra lancer de grands débats avec les jeunes lecteurs, suite à cette lecture. Non seulement celle-ci sera l’occasion de redécouvrir un classique de la littérature, mais elle ouvre aussi à de nombreux questionnements sur la place de la culture et de l’art aujourd’hui, sur la différence entre les êtres, sur le fait de se réaliser pour trouver le bonheur.

Pour donner suite à la poésie du célèbre Académicien français, l’autrice a dû s’adonner avec souplesse et ingéniosité aux vers. Elle jongle avec les mots de manière joyeuse. Et, comme les artistes sont parfois multi-instrumentistes, Dominique Descamps fait entrer en résonnance ses textes avec de très jolies illustrations en gravure. Le résultat est simple, presque naïf, mais terriblement efficace. Ces illustrations amènent une belle douceur dans ce livre. On se laisse porter et on aurait tort de ne pas en profiter. Car du texte à l’image, et de l’image au texte, on a toutes les raisons de passer un beau moment.

Clément Fourrey