Au cœur de l’exil portugais, Em Silêncio est une bande dessinée poignante qui nous plonge dans l’histoire méconnue de l’émigration portugaise vers la France entre 1957 et 1974. À travers le destin de João, Rosinda et leurs filles, nous traversons les frontières du Portugal, de l’Espagne et de la France, suivant les pas de ceux qui ont tenté “o salto” - le saut clandestin vers un avenir meilleur.
Au fil des pages et des péripéties nous comprenons que le contexte historique est pesant. Sous la dictature d’António de Oliveira Salazar, instaurée en 1933, le Portugal plonge dans une période de répression et de pauvreté. Entre 1956 et 1974, alors que le pays est englué dans des guerres coloniales en Angola, Guinée et Mozambique, des centaines de milliers de Portugais fuient la misère et le manque de liberté. En quête de travail et d’une vie plus digne, près de 900 000 d’entre eux traversent clandestinement les frontières, bravant la peur et les dangers.
En 1962, c’est la misère. João est un ouvrier travaillant dans une carrière avec son frère Carlos, tandis que sa femme Rosinda peine aux champs. Un jour, Carlos est arrêté pour avoir enfreint les règles du régime, laissant sa famille dans l’angoisse et l’incertitude. João, confronté à la perte de son emploi et à l’absence de perspectives, décide de tenter “o salto”.
Une photo de famille déchirée en poche “une moitié sera donnée à ta famille. Tu leur enverras l’autre moitié une fois arrivé en France…” Le voyage commence dans un taxi avec d’autres exilés, direction la frontière espagnole. Dans l’obscurité et le silence, ils avancent, l’un derrière l’autre, des fois encordés pour traverser les eaux. Chaque étape du périple est marquée par la peur des carabiniers, la solidarité entre compagnons d'infortune et l’espoir d’un lendemain meilleur.
Adeline Casier tisse une narration intense et immersive, saisissant l’angoisse, l’épuisement et la résilience des migrants. Elle met également en lumière la tendresse humaine, la solidarité qui persiste malgré l’adversité, et ponctue son récit de touches poétiques. Le noir profond de ses dessins nous captive, nous tenant en haleine de début à la fin du récit. À travers ces lignes vibrantes, nous suivons des silhouettes humaines fendant le jour comme la nuit, traversant des paysages à couper le souffle. Son trait palpite au rythme des battements de cœur de ces voyageurs. Nous avons qu’une envie c’est qu’ils s’en sortent.
Dans un véritable devoir de mémoire, Adeline Casier nous raconte l’histoire de ses grands-parents qui ont osé croire en une vie meilleure pour leurs enfants. Avec cette bande dessinée, il s’agit de réveiller les souvenirs, de rendre hommage à ces hommes et femmes dont l’histoire a été trop souvent passée sous silence. Em silêncio est plus qu’un récit d’exil ; c’est une reconnaissance du courage de toute une génération qui a traversé les frontières dans l’ombre, avec pour unique bagage l’espoir et la détermination.
Éléonore Scardoni