Même s’ils sont fêtés et admirés par la critique et qu’ils récoltent des prix prestigieux, les livres d’Anne Herbauts sont souvent considérés comme étant « difficiles d’accès ». En tous cas c’est ce qui se dit, de bouche à oreille, dans le monde des passeurs de livres. (Cette réputation est-elle réellement justifiée ? Ne vaut-il pas mieux simplement reconnaître que ces albums sont résistants à la vitesse et à une lecture en surface ?) Mais cet a priori tenace est peut-être à l’origine de la perplexité éprouvée par certains adultes devant le dernier album de l’artiste. En effet Broutille – destiné en priorité aux tout petits – apparaît comme transparent. Entendez qu’il n’est pas compliqué d’apporter sur le champ une réponse à la sempiternelle question : « Il parle de quoi cet album ? » Quel mot délicieux que ce « broutille ». Le prononcer donne envie de reprendre ce qu’en dit Le Robert qui parle de « petite pousse », de « menue branche » et par extension « d’objet ou élément sans valeur, insignifiant », qui renvoie à « babiole » à « bricole » et même à « rien » ! Et qui termine triomphalement par une phrase de grande personne : « perdre son temps à des broutilles ». Grâce à cette sentence là, nous voici au cœur de l’album, face à ce petit bonhomme qui a perdu son chat et qui tente de faire part de son chagrin aux personnages qu’il rencontre. Un cow-boy, une dame corneille, un migrant, un marchand, un capitaine, une vieille dame, une girouette, et même Nanook l’esquimau. Tous lui font comprendre que leurs propres soucis sont bien plus importants et bien plus graves que le sien. Et tous tapent si bien sur le clou que le petit bonhomme est sur le point d’en être convaincu. Mais « arrive le chien » dit le texte. Lequel interroge, écoute et entend. Lorsqu’on résume ainsi Broutille, on a encore rien dit du choix des mots et de leur musique, de ce qui nait entre les mots et les images et de la pertinence de ces dernières. Tant pis, toutes ces richesses là ce sera au lecteur de les capter. (Maggy Rayet)