Autrice d’une dizaine d’albums jeunesse et active dans divers domaines : graphisme, design de meubles, maquillages spéciaux, livres pour enfants… Maud Roegiers y a toujours fait émerger la fibre de la création artistique. Elle est lauréate en 2009 d’une Bourse découverte de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Maud Roegiers, qui êtes-vous ? Comment en êtes-vous arrivée à la littérature de jeunesse ?
J’ai commencé à suivre des cours de dessin dès dix ans. Puis j’ai fait l’Académie des Beaux-Arts de Marche-en-Famenne deux soirs par semaine, avec six heures de dessin en plus de l’école. Je suis partie un an en échange au Venezuela où je désirais une formation active. J’y ai suivi des études de peinture et de photos. Rentrée en Belgique, j’ai suivi des études de stylisme à la Haute École Francisco Ferrer pendant trois ans. Ensuite, j’ai travaillé chez Prémaman-Orchestra comme styliste et graphiste et j’ai suivi des cours du soir en illustration-graphisme à Saint-Luc à Bruxelles où j’ai découvert le livre jeunesse. Mes trois enfants de neuf, sept et deux ans, Élyne, Stan et Margaux, m’accompagnent aussi dans mon développement.
Des influences ?
Une première influenceuse est Montse Gilbert, un prof du cours du soir à Saint-Luc qui m’a donné le goût du livre. Mon travail de dernière année était la création d’un livre. Il s’intitulait Lettre à Émilie, le premier album édité. Sinon, je suis admirative du travail de Rébecca Dautremer, Quentin Gréban ou Thibault Prugne car leurs dessins sont incroyablement détaillés et travaillés.
Parcours pro ?
J’ai travaillé pendant 13 ans à mi-temps chez Prémaman-Orchestra où je créais entre autres les imprimés sur les vêtements de bébé. Mon envie d’apprendre de nouvelles choses m’a amenée à une pause-carrière de quatre mois pour suivre une formation à Strasbourg en maquillage d’effets spéciaux. J’ai touché à beaucoup de domaines dans l’artistique, notamment la création d’une marque de mobilier Elysta que nous produisons depuis trois ans, en collaboration avec Erwan mon compagnon. Il y a deux ans, je suis devenue indépendante en illustration et graphisme. Le design, l’illustration graphique et l’illustration jeunesse sont devenus ma principale activité. Ma finalité serait de pouvoir vivre des livres que je crée. J’y pense depuis que les ventes ont explosé pour l’album Le sais-tu ? que tu ne dois pas tout savoir qui connaît un succès extraordinaire et qui a déjà été réimprimé quatre fois3. Quand j’ai découvert le texte de Mylen, j’ai tout de suite eu envie d’en faire un livre. Il est en cours de traduction en trois langues : coréen, chinois, taïwanais et j’espère que ce n’est qu’un début. La princesse qui pète a aussi marqué les esprits. C’est le titre qui fonctionne bien. Les gens s’arrêtent dans les salons parce que le titre les fait rire.
Le dernier né : La Liste, sa genèse ?
Pour expliquer celui-ci, je dois revenir à Le sais-tu ?… dont la rencontre avec l’auteure Mylen Vigneault a été importante. En surfant sur Facebook, j’ai découvert l’article « Les 25 choses qu’un enfant de maternelle doit savoir », un texte destiné aux parents, dont la lecture m’a procuré des larmes aux yeux. J’ai contacté son auteure Mylen Vigneault, qui est canadienne, en lui disant que je souhaitais l’adapter en livre pour enfants. Elle a trouvé l’idée originale et c’est avec grand plaisir que notre binôme est né. Je l’ai rencontrée lors d’un passage en Belgique, son mari étant belge. Et c’est ensemble que nous avons présenté le tout début du projet chez Alice éditions. Vu le succès rencontré, je suis allée au Salon du livre de Montréal et nous avons décidé de continuer à collaborer. C’est ainsi qu’est née La Liste, où j’ai eu envie de représenter chacun des 50 points évoqués dans le texte de Mylen par un dessin. Ce traitement lui donne une certaine originalité et représenter tous les points sans être trop long fut un réel casse-tête. Le lecteur peut s’attarder sur une même page car il y a plein de détails à découvrir. L’album est accompagné d’un carnet où l’enfant peut cocher les points de sa liste et noter ses expériences. Encore plus aujourd’hui, il est important de rappeler aux enfants des choses simples comme danser sous la pluie ou grimper à un arbre gigantesque par exemple. Les textes de Mylen diffèrent de la quête avec une histoire traditionnelle et cela les rend uniques.
Côté technique ?
Le sais-tu ? que tu ne dois pas tout savoir a été réalisé à la gouache. La Liste aussi, mais une gouache très liquide qui donne cette précision proche de l’aquarelle. Puis, je retravaille, peaufine chaque illustration aux crayons de couleur (les détails, les ombres…). La couleur de la couverture de La Liste a fait l’objet d’une recherche particulière afin d’éviter qu’elle ne soit trop rouge, trop orange ou rose (connotée filles). La couleur saumon dégage une certaine chaleur, une convivialité. Présenté en avant-première à la Foire du livre de Bruxelles, les deux cents exemplaires prévus se sont écoulés en quelques jours. J’ai aussi un petit truc pour améliorer le rendu. J’utilise la technique du transfert, comme dans La Baleine, qui comporte un imprimé de fleurs. À la base, c’est un imprimé de tissu. Dans La princesse qui pète, j’utilise pas mal cette technique pour les illustrations. Dans Prendre le temps, ce sont tous les traits noirs qui sont tracés avec cette technique.
Des animations en classe ?
Oui, j’ai débuté celles-ci grâce au Répertoire des auteurs et illustrateurs de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Puis avec l’opération Auteurs en classe. Un jour, l’instit de mon fils qui a fait une formation kamishibaï m’a initiée et j’ai eu l’idée de transformer mes histoires en kamishibaï. Mais je voulais ajouter une dimension plus ludique et interactive. J’ajoute donc des aimants, des scratchs… que je présente beaucoup dans les écoles et un peu aussi en bibliothèques. Cette façon de faire permet une relecture complètement différente.
Lettre à Émilie et La grande aventure sont des histoires vécues dans mon enfance avec ma cousine Émilie tout comme La princesse qui pète. Cette histoire a été écrite en pleine nuit dans ma tente de camping en Patagonie. Lors des animations, j’amène quelques originaux. Je raconte deux ou trois histoires en kamishibaï, puis je prévois une animation artistique en fonction de l’âge de l’enfant. Par exemple, dans Le sais-tu ? que tu ne dois pas tout savoir, il y a une page qui dit : « Le monde est une belle grande toile que tu colores à ta façon, chaque jour ». Cette illustration a été remplie avec des dessins de ma fille. En animation, je leur donne l’illustration sans les dessins d’enfant et je les invite à créer leur propre toile. Pour les plus petits, on travaille avec des dés et de l’encre encoline ou encore on crée des caricatures des enfants de la classe et on essaie de les reconnaître. Le prof me dit souvent qu’il y a une sorte d’effervescence en classe avant mon animation. La dimension de préparation de l’animation est importante pour que la magie de la rencontre opère. Les enfants ont le temps de se réjouir. En préparant, en lisant les albums, ils se sont déjà fait une image qui rend les échanges intéressants.
En projet ?
Un nouvel album en collaboration avec Mylen Vigneault est prévu pour mars 2021. Il s’intitulera Les petits et les (trop) gros secrets. Et puis d’autres projets avec notamment un personnage aimé des enfants mais je n’en dirai pas plus… c’est encore un secret ! En guise de conclusion, j’aimerais mentionner la bienveillance que l’on retrouve beaucoup dans mes livres afin de faire baisser la pression, rappeler aux enfants l’essentiel, la quête du bonheur.
[1]. L’ouvrage a également été sélectionné pour le prix Des Mots et des Merveilles 2019 dans la catégorie « Petit ogre ».
© Isabelle Decuyper pour Lectures.Cultures N°19, octobre novembre 2020.