À la ville comme à la campagne…
De nos villes, de nos campagnes, de nos faits divers s’est dessiné un paysage polar qui n’a rien à envier à nos prolifiques voisins français ou même à nos classiques anglo-saxons. Simple à dire, facile à lire : quand des polars se publient ici, il faut les savourer par les lieux racontés, par les personnages rencontrés, par les sujets d’actualité développés. Pour en assurer une cohérence fictionnelle, nos autrices et auteurs ont assumé un art narratif qui révèle de nouveaux enquêteurs, professionnels ou amateurs. Parmi ces nouveaux chercheurs de vérité, l’un est d’ailleurs célèbre puisqu’un musée lui est consacré au cœur même de notre capitale. Dans les villes comme dans les champs, le chant du polar « à la belge » s’élève en multiples notes bien noires. Surtout pas de sentiment de « belgitude » dans le paysage mais un plaisir affirmé d’oser la puissance des lieux quand il faut structurer des histoires ici. Tout est possible par l’écriture, tout s’invente à condition d’y faire apposer une signature qui assume la responsabilité de ces intrigues de papier. Voici rassemblées en un seul voyage plus de 5000 pages de propositions de lecture.
Sous les ailes du Noir Corbeau
Quand les Corbeaux laissent leurs pattes – noires évidemment – sur des couvertures jaunes, nous voilà portés sous les ailes colorées du « dernier Groff », Waterloo mortelle plaine. Par un titre aussi localisé et par sa dimension mortuaire affirmée, ce roman prend la huitième place dans cette désormais incontournable collection de chez l’éditeur Weyrich en conviant le lecteur à dévorer la quatrième enquête de ce drôle de bonhomme qu’est Stanislas Barberian, un privé très spécial puisque son métier principal est… bouquiniste. De fait, il se mêle encore de faire la lumière sur le décès bien étrange d’un jeune homme qui a participé à la reconstitution d’une phase de la célèbre bataille. En 2019, ceux que l’on désigne couramment « des reconstituteurs » ont justement… reconstitué une infirmerie de 1815 sous la direction d’un certain « Doc Percy ». Le bouquiniste-enquêteur-amateur fait mieux, beaucoup mieux que la pataude police officielle puisqu’il a retrouvé de la poudre blanche dans la giberne d’un reconstituteur. Or ce jeune homme décédé est le pur produit d’une bourgeoisie bien en place dans le Brabant-Wallon, or la poudre palpée par Barberian dans la giberne n’est ni du sucre ni de la farine… Dès lors, le lecteur est lancé : la mise en place de l’énigme est rapide tandis que Stanislas Barberian flanqué de son amie Martine, elle aussi dans les bouquins au Sablon, est curieux de tout, s’amuse à chercher le nom du coupable. À côté de cette détection de type policière même si l’officielle semble être tenue à l’écart, se trouve deviné le plaisir de Francis Groff à balancer de multiples références en provenance de la RTB de papa avec Arlette Vincent, de la chanson de grand-papa avec Marc Aryan, de la littérature avec Victor Hugo et bien sûr de la célèbre bataille de 1815, avec la Ferme du Caillou.
Ce quatrième volume se positionne en roman policier comme le furent les trois précédents, toujours disponibles chez les libraires pour voyager dans les contrées de chez nous : en route pour les bords de la Sambre avec… Morts sur la Sambre, arrêt au centre de Namur avec Vade retro, Félicien ! et tout droit vers le carnaval de Binche avec Orange sanguine. Aucun fait divers ou d’été ne peut menacer l’enthousiasme de Barberian quand il s’intéresse de près au destin des cadavres qui parsèment son calme métier de bouquiniste…
Auparavant, en juin de l’année 2020, la collection Noir Corbeau avait mis le cap sur un autre coin de la Wallonie en déployant ses ailes à Louvain-la-Neuve avec Une mort pas très catholique, premier roman dans le genre policier d’un duo neuf composé d’Agnès Dumont et de Patrick Dupuis. L’autrice liégeoise est une pensionnaire fidèle de la maison « Quadrature » qu’elle squatte pour ses recueils de nouvelles tandis que Patrick Dupuis se trouve être le fondateur et propriétaire de cette maison d’édition connue pour son engagement en faveur du texte court. Elle est située à Louvain-la-Neuve et par conséquent il ne faut pas s’étonner que le premier polar signé par ce duo de choc se déroule dans la fameuse ville universitaire. Cette fois, l’enquête est menée par un duo de policiers très officiels : Roger est un ancien du commissariat de la rue du Marché aux Poulets à Bruxelles et Paul est un jeune flic belge d’origine marocaine qui habite Namur. Ils découvrent à peu près en même temps un commerçant sicilien apparemment mort dans son sommeil.
Pas très catholique cette mort, l’évidence parle. Le duo d’auteurs se jette aux basques fictionnelles du duo d’enquêteurs pour mener le lecteur au cœur même de la cité estudiantine qui connaît dans ses bas-fonds un phénomène que les médias ont nommé les « sugar babies ». Des étudiantes qui arrondissent leurs fins de mois en tarifiant des services intimes à des messieurs, bien décidées à en tirer un maximum de profit. Dans ce milieu parallèle s’est infiltrée une étudiante un brin naïve qui tente d’y voir clair. Le duo de policiers ne compte pas fleurette en longeant les pistes qui les mènent à un trafic de vêtements très maffieux. Roger, l’ancien, et Paul, le neuf, finiront par démasquer le coupable, bien sûr, même si le lecteur attendra les dernières pages pour tirer les fils de ce tissu fortement coloré. Les lieux sont précisés, l’atmosphère est légère, le duo de policiers fonctionne à merveille. Rien de futile pour le lecteur assuré de passer du bon temps dans cette ville particulière « qui n’a pas de cimetière ». Quant aux « Dudu », les Dumont-Dupuis, ils proposent, dans la même collection, Neige sur Liège, une visite patrimoniale et mouvementée de leurs pragmatiques duos d’enquêteurs dans le quartier chaud de la Cité ardente, le Carré et en toute continuité dans bien d’autres coins urbains tout aussi passionnants à visiter. La neige n’y est pas toujours blanche et les bonhommes ne sont pas à prendre avec des pincettes.
Retour à Bruxelles
Les Marolles, cœur palpitant de la capitale, le refrain est connu. Nestor Burma, détective de choc créé par le monument Malet, y est venu enquêter en 2019 sous la plume admirative de Nadine Monfils, Crime dans les Marolles (Pulp édition). Deux ans plus tard, en ce printemps 2021, Nadine Monfils retrouve Bruxelles avec une autre célébrité qu’elle transforme en enquêteur libre et désintéressé : René Magritte en personne !
Oui, l’homme à la pipe qui n’en est pas une, le peintre surréaliste par excellence, amateur de romans policiers (il apprécie la lecture d’Edgard Allan Poe et de Nick Carter, parait-il) se lance dans la résolution d’une énigme en étroite collaboration avec la pataude police officielle qui, selon l’expression consacrée, « patauge ». Bien sûr, dans la vie comme dans son enquête, Magritte est flanqué de sa fidèle amie d’enfance Georgette devenue sa chérie pour la vie. Le voilà agité, on pourrait même le qualifier surréalistement de « magritté » quand il prend comme modèle une jeune femme à robe à fleurs qu’il a rencontrée par hasard dans la rue.
Or cette femme prénommée Madeleine est charmée par des billets d’amour cachés dans des enveloppes bleues, tracés par une main inconnue. Madeleine est serveuse au « Roi d’Espagne », célèbre établissement de la Grand Place, elle est découverte poignardée au Cameo, salle de cinéma à cette époque toujours en activité. René et Georgette veulent tout savoir et tout comprendre de ce fait divers tragique ; avec l’aide d’un ami inspecteur de police, ils pensent pouvoir se mêler à l’enquête en discutant le coup au fameux café « La Fleur en Papier Doré », rue des Alexiens. L’affaire se complique lorsque qu’un deuxième fait tout aussi divers tombe : cette fois c’est une Rosa retrouvée morte qui s’avère être la maîtresse du mari de la Madeleine… Pour Georgette comme pour René, le joli couple de la rue des Mimosas à Schaerbeek, l’enquête devient un vrai jeu de piste, amusant, déroutant qui les amène à retrouver Jacques Brel à la terrasse du Métropole. Brel, c’est l’auteur de Madeleine, de Rosa mais aussi de Mathilde… tiens donc ! Un lien avec l’auteur des crimes ? Pure fantaisie évidemment que l’expérience bruxelloise de Nadine Monfils transforme en roman policier et qui permet à son lecteur de retrouver le quotidien de Magritte, le chien de Magritte, l’atelier de Magritte, le bus 33, la Grand Place, les Marolles, le bon vieux stoemp à « La Clé d’Or » et même le fromage de Herve mais c’est logique puisque René et son pote flic se retrouvent à Namur près de la fameuse église Saint-Loup. Le lecteur en quête d’exploration d’un Bruxelles d’antan sera comblé s’il ne cherche que pur plaisir dans les ambiances « magrittiques » reconstituées avec le plus grand soin.
Et voici le retour de Van Kroetsch ! Qui c’est celui-là ? Il s’agit d’un privé célibataire qui aime le rock et la bière, se fourre dans des affaires compliquées et s’en tire toujours. La série commencée dès 2012 chez 180° éditions vient de retrouver une belle jeunesse chez Lamiroy.
L’auteur, Marc Meganck connaît à fond les recoins de ce Bruxelles qu’il a souvent étudié comme historien ; son intention est d’accrocher le lecteur au cœur de la capitale par un titre bien serré : Le pendu de l’Îlot sacré. Le nœud de l’affaire est constitué d’une série de nains aux jambes artificielles retrouvés dans des bistrots de l’Îlot bien connu par son flux de touristes, ses impasses et ses habitués. Problème de taille : les nains disparaissent… Van Kroetsch est dégoté par son ami inspecteur Reginald qui ne manque jamais de le secouer entre deux cuites pour aller de l’avant dans la résolution de cette affaire originale. En plus, la vie privée du privé est mouvementée : une bande de jeunes encercle son appartement dans une cacophonie intolérable, son propriétaire menace de le jeter car un autre pendu est retrouvé à l’étage occupé par Van Kroetsch. Une seule destination : filer à Ostende pister un suspect, se retrouver à boire dans un bar jusqu’aux premières lueurs du jour… Le célèbre îlot ne serait-il qu’une façade qui cache mal ses misères ? Dans ce roman relié en permanence à la ville, la célèbre rue des Bouchers en prend pour son grade et le tout aussi célèbre théâtre de Tonne assume la dernière scène du roman… Beaucoup d’humeurs, beaucoup d’humour, un flot de bière et de la belle musique country pour sucrer le tout…
Toujours la capitale, encore Bruxelles ma belle mais cette fois engoncée sous un manteau noir signé Michel Claise. En une bonne dizaine de volumes publiés depuis Salle des pas perdus réédité en poche chez Genèse en 2019 jusqu’ à ce Sans destination finale publié lui aussi chez Genèse en 2019, ce juge d’instruction souvent médiatisé s’est imposé comme un excellent romancier qui n’hésite jamais à faire plonger son lecteur dans des milieux très particuliers. Il lance l’histoire d’une jeune femme prénommée Monica. Monica ? Elle s’était destinée à une vie tranquille par le mariage et l’éducation de son fils. Monica a viré de bord ; professeur de français très honorée, elle subit un drame familial insoutenable qu’elle tente de dissoudre dans les eaux troubles des sans-abris bruxellois. La rue est désormais son impitoyable chemin de déraison. Elle y apprend la survie, la puanteur, la désespérance totale mais aussi, en parallèle, la solidarité, l’amour… Accusée d’avoir tué sa tante qui voulait la sortir de cette mauvaise passe, elle est arrêtée puis incarcérée et, au bout du roman, jugée au cours d’un procès d’assise retentissant. Et les lecteurs, fort heureusement impuissants à maîtriser les ficelles finales de cette histoire se laissent emporter par l’art du romancier qui, bien entendu, excelle à les rouler dans la farine. Le blanc contre le noir, les masques de la convenance sociale contre la vérité intérieure de Monica que les lecteurs devront bien accepter dans les ultimes paragraphes. Ce roman est noir fondant, noir de chez noir, maîtrisé par un auteur qui se montre fin connaisseur des mécanismes de la justice. Michel Claise bâtit à l’aise, sans trop de bruit une œuvre magistrale que la maison Genèse, après celle de Luce Wilquin édite en poche ou en grand format…
Le noir leur va bien…
Branche particulière du polar, le roman dit « noir » se concentre plus sur la description d’un milieu que sur une stricte enquête d’investigation. Il y aurait dans ce sous-genre une intention de mise en lumière de pans de la société qui semblent se cacher derrière la bienséance, le socialement correct. Dans la galerie du roman noir contemporain se promène un nom : Caroline de Mulder ; elle a sorti fin 2021 dans « La noire » de chez Gallimard un appétissant Manger Bambi. Bambi, c’est le surnom d’une jeune lycéenne parce qu’elle a « les yeux doux » et une « charpente légère toute en pattes » , Bambi c’est la détentrice d’un revolver, son « gun » comme elle dit et flanquée de sa copine Leila, chasse l’homme. Pas n’importe quel homme bien sûr, mais l’homme mûr suffisamment musqué pour être rat coffré dans de luxueuses chambres d’hôtel, l’homme qui pense qu’il suffit de se laisser mener par deux jeunes femmes pour s’offrir des plaisirs inavouables au grand jour. Et si l’un de ces gibiers masculins paraît mort, là n’est pas l’essentiel pour Bambi qui semble alors prendre possession de cette histoire sordide et construire son destin. Les lecteurs finissent par s’intéresser au passé de Bambi, à ses préoccupations et à sa mère qui vient d’introduire dans sa vie pourrie un sacré bonhomme surnommé Nounours, le plus dangereux de tous ceux qui sont passés dans son lit. Entre temps, Bambi est arrêtée et, puisqu’elle est mineure, expédiée dans « une unité de vie pour jeunes filles en difficulté » : elle s’enfuit sous le regard goguenard de l’éducatrice de service car elle croit toujours que son « gun » est le seul objet qui peut la délivrer de ce monde adulte qu’elle peine à comprendre du haut de ses seize ans. Fort, très fort, ce roman lardé de crudités, de férocité mais aussi traversé par des envies d’humanité douce laissées en filigrane dans la violence de ces adolescentes livrées à elles-mêmes en l’absence de valeurs stables. Petite réserve, faut-il le préciser : les lecteurs peu familiarisés avec le vocabulaire des banlieues, risquent de s’égarer dans les premiers chapitres. L’autrice prend le temps d’installer son univers.
Et encore du noir mais pas trop : le dernier roman de Rose-Marie François Au soleil la nuit publié chez Maelström s’articule autour d’une question tout à fait classique dans le genre : la mort accidentelle d’une jeune fille avec à son bord un auto-stoppeur ne serait-elle point plus qu’un simple accident de la route dans le lointain Cap-Nord ? Pour y répondre, un enquêteur d’assurance suédois vient interroger l’amie d’enfance ; il loge à l’hôtel… « Le Suède » en face de la statue de Grégory, ce qui tend à prouver noir sur blanc que la ville de « Meuse bourg » serait bien un camouflage maladroit de « Liège ». Peu importe car l’enquête se complexifie lorsque ce type bien suédois ne serait finalement que la doublure de l’auto-stoppeur dont on apprend petit à petit qu’il était bien tombé amoureux de cette conductrice qui se targuait d’être écrivaine en laissant des cartons remplis de récits autobiographiques. Aux lecteurs de se laisser inviter à découvrir plusieurs de ses récits. Si la phase « noire » du roman n’est pas très chocolatée, c’est parce que le souci de la romancière se place aussi à l’intérieur d’une époque particulière qu’elle veut non pas reconstituer mais offrir en traits rapides ici et là.
Changement d’époque avec le premier polar de Bernadette de Rache, La fille sur le banc qui lance un nouvel enquêteur de papier, un jeune inspecteur nommé Steve Bollard qui se retrouve face à une énigme : pourquoi la fille d’un puissant entrepreneur liégeois est-elle retrouvée morte sur un banc de la place Cathédrale ? L’originalité du roman se trouve dans le récit d’une grand-mère très observatrice des remous ardents d’une cité où se chauffe rondement tous les soirs un quadrilatère qu’on appelle communément le « Carré »…
Direction Esneux…
Nous descendons le long de l’Ourthe vers Esneux, plus précisément vers le village de Fontis. Au sommet de la colline se niche la maison d’édition de Françoise Salomon, Murmure des soirs qui, tout en continuant de publier des auteurs et autrices de chez nous, ne néglige pas de noircir les pages de son catalogue en ayant publié avant l’été 2021 deux volumes aux accents polars bien appuyés. Le premier signé d’un auteur déjà expérimenté dans le Murmure se déroule en grosse partie à Schaerbeek tandis que l’autre signé d’une débutante se déroule à Charleroi.
Kennedy et le dinosaure, titre pour le moins étrange de ce polar est signé Michel Lauwers ; l’enquêteur principal est cette fois un journaliste qui écrit des papiers sur les anciennes publicités peintes à même les pignons des villas de Schaerbeek. Le roman se tient entre le 21 mars et le 15 avril de cette année 2018. L’écoulement du temps d’enquête est donc à la fois précis et rapide ; quand ce journaliste découvre que le champignonniste mort en 1963 pourrait bien avoir chuté de son échelle non pas par accident mais par une volonté externe, il se sent troublé, il veut tout savoir avant de publier son histoire dans les pages de son journal. Et très bizarrement, dans une maison voisine est mort à la même époque un Américain. La piste mène le journaliste à un dinosaure peint et à une explication assez plausible du meurtre de Kennedy en novembre 63 à Dallas. Le roman profite du jeu du temps pour se faufiler dans les rues de Schaerbeek et même au nord du pays, à Triporteur et à Bruges. Il y avait longtemps que cette profession pourtant reconnue pour ses enquêtes n’avait plus servi la cause d’un genre littéraire qui, très souvent, en a consommé des paquets.
Mea culpa est le premier polar de Nicole Thiry et l’on peut dire d’emblée qu’elle a parfaitement réussi son entrée grâce à deux recettes souvent utilisées dans le genre : la qualité de restitution du cadre exploratoire et le personnage de l’enquêtrice. Pour le cadre, tout simplement, l’autrice a choisi Charleroi et sa proche banlieue dans ses détails topographiques connus : les statues de Soupir, les terrils que l’autrice souligne comme étant de formidables points de vue, la fameuse et nouvelle tour de la police local… L’enquêtrice en chef, c’est Marine qui a ses habitudes au Delhi de Marcelline, il faut le savoir, même si ce détail n’est pas très important et le nœud de vipères à dénouer est une sorte de sculpture composée de morceaux de corps sans identité rassemblés dans le froid. Brrr… L’équipe de Marine se met au turbin : un Arabe sympa et un jeune policier flamand dont on apprendra au cours de l’enquête pourquoi il a choisi Charleroi comme ville de travail. C’est drôlement bien mené jusqu’à son terme parce que Marine est attachante avec sa libido oscillante. Pour les besoins de l’intrigue, l’enquête prend la direction d’autres bleds comme Suborneuse, Douillet, Jamila et même un petit tour à Liège pour l’ASBL Thermos. Mais ne nous trompons pas de cible urbaine : c’est au quai Rimbaud, dans l’odeur fraîche des pizzas, que s’achève chaudement cette intrigue qui a fait vibrer le cœur du lecteur dans des bagarres pétaradantes à souhait. Nicole Thiry n’écrit pas dans la dentelle même si les dessous de cette affaire sont noirs… Que revienne vite Marine et qu’elle emmène ses admirateurs dans d’autres quartiers de Charleroi ou d’ailleurs.
Polars des campagnes
Le nid de la collection « Noir Corbeau » est une création des éditions Weyrich qui sont localisées à Onglier, village de Neufchâteau situé en bordure de la forêt d’Ablier. Il n’est donc aucunement étonnant d’y voir un titre de Corbeau se poser à la lisière d’un bois : Le roi de la forêt est le premier roman policier signé Christian Joosten et le sixième Corbeau, paru à l’automne 2020. Ce romancier semble vouloir lancer un vieil inspecteur de 55 ans, un certain Guillaume La vallée, dans la grande galerie des inspecteurs de fiction. Or, dès les premières pages, son supérieur fait barrage à l’enquête : la femme retrouvée le long de la Semois par un promeneur solitaire n’est autre que son épouse ! Du coup, changement de cap pour La vallée qui… se retrouve dans le rôle du suspect numéro un… Pas drôle du tout. Et pour le lecteur, descente dans le passé, trente ans plus tôt, en 1976… où il est question de la disparition d’une jeune fille et d’une imprimerie de faux billets de banque dans les caves d’un hôtel abandonné. « Un vrai merdier » dit quelque part un flic du coin devant la mort d’un collègue. Car c’est aussi à l’intérieur du couple La vallée que marchent à pas lents les premiers éléments qui effeuillent le mystère de la femme du flic morte en forêt….
Autre destination dans les profondeurs de l’Ardenne, le château de Saint-Laurent, lieu imaginé par Alain Berenboom pour cadrer la nouvelle enquête de son Michel Van Loo, Michel Van Loo disparaît chez l’éditeur Genèse qui, l’air de rien, poursuit avec succès la publication systématique des enquêtes de ce privé hors du commun. Les lecteurs savent que ce château doit se situer du côté de Libramont puisque Van Loo y débarque du train mais ces mêmes lecteurs se perdent dans les itinéraires proposés… Toujours est-il que ce château hanté est la propriété du couple Éborgné qui a missionné le détective pour chasser les fantômes qui semblent se faufiler durant la nuit dans ses sombres couloirs. Une propriété au passé trouble durant l’Occupation. L’on chuchote que le vieux comte de l’époque aurait eu de réelles sympathies pour Léon Grenelle, citoyen du coin puisqu’il venait de Bouillon. À peine arrivé, Van Loo est confronté à la mort du garde-chasse qu’il retrouve sous sa propre couverture, un type peu sympathique… Et les fantômes ? Ils viendraient en ligne directe du précédent propriétaire, pas très clair tout ça. Alors qu’il boucle l’enquête, Van Loo disparaît comme le titre l’indique et c’est son amoureuse Anne qui reprend les recherches dans la seconde partie du roman. Van Loo va-t-il réapparaître ? C’est la troisième partie et la recherche de la vérité qui appartient au lecteur…
Campagne encore pour les décors de ce tout premier roman signé Odile Baltar, Arrête ton cirque !, un titre amusant pour le premier prix « San-Antonio » décerné au cours de l’été 2021. Une jeune femme prénommée Laure totalement à la masse raconte en toute bonne foi comment elle se retrouve dans de sales draps puisque son amant en titre s’est suicidé et que c’est son compagnon – en titre lui aussi – qui lui a annoncé… Ce dernier d’ailleurs se retrouve dans un coma artificiel à la suite d’un lancer de bûche fortement agressif de la part de Laure. « J’ai rien à voir dans le suicide de mon amant » devra-t-elle se résoudre à avouer au policier qui l’interroge… « Simple éboulement de troncs d’arbre » devra-t-elle admettre un peu plus tard au même policier un brin trop entreprenant. C’est sans compter sur une mère riche et possessive, une fausse belle-sœur méchante, une morale en lambeau et un certain penchant pour le pétard, Gaston Lagaffe et l’alcool. Laure est tout bonnement distendue. Mais au fil des chapitres, elle devient adorable par son humour, sa capacité à rebondir et son envie quand même de se calmer. Ce court roman se situe dans la veine des bons vieux Fleuve Noir « spécial police » (où San Antonio fit ses débuts) des années 60 qu’aujourd’hui plus personne ne lit. Vite, une suite, vite de la campagne chez Laure ! Odile Baltar est un pseudo mais l’on commence à savoir qu’elle vit calmement dans un bout d’Ardenne au sud de la province de Namur ; elle y cultive en toute modestie un talent fou, une sorte de capacité à raconter des histoires dingues qui font le plus grand bien.
Et polars de bords de mer
Car la plume de Nadine Monfils, un mois seulement après avoir fait son nid à Schaerbeek et dans quelques hauts lieux de la capitale, envoie les Magritte sur la côte belge, du côté des riches, à Knokke-le-Zoute. Ce n’est pas la première fois qu’un polar bien belge campe une enquête dans le coin puisque, en 1999, ce bon André-Paul Duchâteau avait amené dans cette station son privé Max Ruiter dans Knokke-sur-mort. Le couple René-Georgette, en bon serviteur de la belgitude, aime le sable, les cabines en bois, les crevettes et les cuistax sans oublier l’hôtel dit « de la Plage ». Et les lecteurs de saliver devant « les boules de l’y’sn », ces beignets fourrés à la crème pâtissière vendus sur cette plage. Au bout du brise-lame, que découvre René, enterré dans le sable ? Un cadavre évidemment ! Il le reconnaît, le bonhomme… c’était un client de l’hôtel de la Plage qui avait déclaré qu’il n’avait plus aucune nouvelle de sa femme Daisy, une journaliste employée dans un magazine de tourisme… Les lecteurs, plongés dans le bain des années 60, suivent pour la deuxième fois le couple Magritte dans sa quête d’un coupable. Les mystères les plus poivrés sont souvent ceux qui proviennent des salières conjugales, c’est bien connu dans les romans policiers classiques. Ici, faut-il le rappeler, Brel chante toujours sur scène mais c’est Hergé que Magritte rencontre avant de se faire accrocher par la voix d’une sorte de Castafiore dégénérée. Hergé déclare posséder deux Magritte tandis que le peintre emporte un original du créateur de Tintin. Nadine Monfils ne se prononce pas sur la fortune de chacun mais maintient sa verve pour emmener son célèbre couple à Ostende, la « reine des plages » sur les traces de Spilliaert, d’Ensor et profite de l’été à Knokke en plaçant d’autres cadavres exquis pour bien ensabler les pistes suivies par le bon René et sa belle Georgette. C’est l’époque où il était encore possible d’explorer les anciens bunkers du Mur de l’Atlantique… La visite illégale d’une maison vide et la puanteur du fromage de Herve marquent le lien entre cette deuxième enquête et la précédente. Et quel est l’autre belge célèbre que Magritte devrait rencontrer dans sa troisième aventure qui devrait amplifier cette collection « La Bête noire » chez Laffont ? Selon la rumeur entretenue par quelques affamés de polars sauce Lapin cuisiné en Outremeuse, Nadine Monfils serait bien décidée à ne pas lâcher le filon et à envoyer René et Georgette à Liège sur les traces de Georges Simenon après un détour par Bruges…
Plein de prix, plein les poches
Les lecteurs friands des suspenses signés Barbara Abel attendront aussi le printemps 2022 pour voir son prochain thriller (intitulé À peine les ombres) briller chez les libraires tout en sachant que son dernier, Et les vivants autour, est revenu en format poche, comme d’habitude, chez Pocket. Pour conserver la forme noire des récits courts, elle s’est retrouvée en couverture du volume de nouvelles Écouter le noir chez Pocket (n°17829) en compagnie de la fine fleur du polar français contemporain. Honneur à elle, même si Abel n’a pas encore trouvé les chemins des lieux réels.
Autre grand format du polar de ville, Paul Colize a eu les honneurs de retrouver Un jour comme les autres dans le must des collections de poche, la Folio Policier (n°906).
Elle fait sa place, elle connaît les ficelles du thriller, la namuroise Patricia Hespel qui voit encore son deuxième thriller La dernière maille se retrouver pour un large public chez Pocket après La fille derrière la porte, thriller éblouissant qu’avait salué en son temps Frank Thilliez en personne.
Côté prix, l’on en remarquera trois : le prix Femme actuelle 2020 pour le thriller de Benoit Sagaro, La conjonction dorée (Nouveaux auteurs), le prix Fintro 2021 Écritures Noires pour Benoit Gustin et son Sous la ceinture (Ker) et enfin, belle récompense pour Caroline de Mulder : le prix du « polar francophone » du magazine français Transfuges pour son très comestible Manger Bambi, seul polar de la bande qui avait eu en 2020 les honneurs d’être présenté à La Grande librairie sur FR3.
© Guy Delhasse – oct. 2021