Yun Sun Limet   1968 - 2019

PRÉSENTATION
Née à Séoul en 1968, Yun Sun Limet, après des études de philologie romane et un diplôme d’écriture et de littérature de cinéma et de télévision, travaille à Paris dans le domaine de l’édition. Elle décède le 17 juin 2019, arrachée à la vie par la maladie, laissant une œuvre romanesque et essayiste de grande cohérence. Détentrice d’une thèse de l’UCL et Paris 8, Yun Sun Limet consacre à Maurice Blanchot critique (La Différence, 2010) une étude où elle s’attache à montrer, contre l’image généralement répandue d’un trajet fait de ruptures, la continuité entre le jeune homme soucieux d’engagement politique, le théoricien de la littérature et l’écrivain. Dans l’article sur « Entre-temps, Intertextualité et critique » (2006), Yun Sun Limet précise que « le texte critique n’est pas seulement ce discours superflu, qui vient se greffer sur les œuvres tel un parasite, il est indissociable de l’écriture même des œuvres, parce qu’il indique, rend visible peut-être, ce que l’œuvre elle-même doit aux œuvres qui l’ont précédée et qu’elle poursuit. Il peut, dans cette perspective, n’être donc pas discursif, mais constituer une dimension du texte ». Dans son essai De la vie en général et du travail en particulier (Les Belles lettres, 2014), elle précise aussi que « nous faisons semblant d’étudier de façon scientifique et détachée des questions qui, dans le fond, nous sont intimes, insues ». Or cette question centrale, pour Yun Sun Limet, est celle de la fragilité du vivant, qui se retrouve dans chacun de ses écrits, qu’ils soient de critique ou de création. De 2004 à 2012, quatre romans paraissent, dont l’intrigue repose sur les hasards qui peuvent, cruellement, faire s’effriter le bonheur. Les Candidats (La Martinière, 2004, rééd. « Espace Nord ») relate les bouleversements qui suivent le décès par accident des parents de deux jeunes enfants confiés à des amis ; Amsterdam (L’Olivier, 2006) suit la débâcle d’un musicien qui rate à la fois sa carrière et son histoire d’amour, et finit emporté prématurément par le cancer ; 1993 (La Rue de Russie, 2009) livre le carnet intime d’une fille-mère qui confronte sa dégringolade sociale au trajet de battant de Pierre Beregovoy ; Joseph (La Différence, 2012, finaliste du Prix Rossel) retrace le destin d’un oncle disparu à la fleur de l’âge dans un accident de moto, un drame qui trouve un écho insoupçonné dans la vie de la narratrice. Dans chacune de ces fictions se lit le respect profond des gens de l’ombre. Ce motif innerve également ses textes brefs : les récits publiés sur remue.net dont elle était membre du Comité de rédaction (La Disparition, Maison à vendre, La machine à broyer, Suis née au printemps 68, Par les rues, Après dissipation des brumes matinales, Ferry Tale, Sky link, La Disparition), ou dans des collectifs (dans La nuit remue et Fenêtres sur court), mais aussi le conte-opéra pour enfants Timouk l'enfant aux deux royaumes, (Livre-CD, Didier Jeunesse, 2014) et le court métrage N’aie pas peur (productions Dimanche compris, 2019). Un fil relie les thèmes des fictions de Yun Sun Limet avec son intérêt porté à Maurice Blanchot qui a fait œuvre dans la conviction que « la vie porte la mort et se maintient dans la mort même », et aussi à Cioran (Cioran et ses contemporains, Pierre-Guillaume de Roux, 2011), deux auteurs profondément marqués par la tragédie de la guerre. Il se retrouve encore dans son attachement à Henry Bauchau, à qui elle a consacré plusieurs études visant à éclairer son passé non-littéraire (e. a. dans Les Lettres romanes 1995, et l’E-book et catalogue de l’exposition de 2013 Henry Bauchau : à l’épreuve du temps ) ; cet auteur disait écrire pour « le peuple du désastre », c'est-à-dire les démunis, les déclassés et, à près de 90 ans, il sentait la mort présente à chaque instant au cœur du vivant et disait que cela « n’est pas triste ; simplement cela est ». Au centre de chacune de ses œuvres, la romancière fait, elle aussi, ressentir l’action impitoyable de la mort, et en même temps la beauté de la vie au quotidien qui n’est jamais qu’une lutte continue contre la fin promise. Le « bonheur de l’instant qui est éternité, et qu’il faut vivre comme tel », écrit-elle. La continuité entre fiction et non fiction est aussi palpable dans son écriture. La langue romanesque de Yun Sun Limet est fluide, d’une sobriété tout en finesse qui permet d’aborder des questions d’une grande complexité sous des formes extrêmement efficaces qui s’accordent à une pensée toujours claire. L’auteure rend le lecteur attentif aux moindres détails pour l’amener à se mettre à l’écoute des êtres « invisibles » que l’on côtoie chaque jour sans leur prêter attention, et à comprendre la dignité de chaque destinée humaine. Ainsi, dès les premiers écrits, le propos est grave, et empreint d’une forme de sagesse qui s’impose au sein d’un univers imaginaire qui n’a rien de pesant, mais se déploie au contraire dans une sensibilité et un ton naturel qui rendent les personnages familiers et attachants. La condition d’enfant adoptée en Belgique de Yun Sun Limet, « la sœur de personne et une fille d’invention », l’a prédisposée à comprendre combien la mort peut se trouver intimement tressée à la vie, à quel point l’on peut être vulnérable, et comme il importe de préserver la confiance dans l’humanité. Cet univers littéraire de profonde intelligence et de générosité, soutenu par une émotivité contenue, s’ancre dans une authenticité de parole aux antipodes des littératures qui misent sur le choc, la revendication et autres recettes de médiatisation. Il s’attache à rendre perceptible la noblesse d’âme des êtres discrets. La qualité de ton et d’écriture apparaît ainsi également au diapason de la posture littéraire de l’auteure qui, tout en vivant à Paris dans le milieu de l’édition, ne cherche aucunement à en tirer ni avantage ni panache.


PORTRAITS ET ENTRETIENS
Le Carnet et les Instants

En juin 2019 s’est éteinte une voix discrète mais combien sensible et originale, celle de Yun Sun Limet, trop tôt disparue. Elle laisse une œuvre de textes forts qu’on aurait aimé voir prolongée encore.
Le lecteur est d’abord séduit par la capacité de l’autrice à créer des personnages attachants, dont elle montre les espoirs mais aussi les failles et le mal de vivre. Ses textes ont une forte charge émotionnelle et elle parvient à susciter chez le lecteur une empathie pour ces personnages frappés par les drames de la vie.

Le premier roman, Les candidats, en offre déjà un bel exemple, qui décrit le drame de la mort des parents pour deux tout jeunes enfants. Leurs parents avaient pris la précaution de demander,…


BIBLIOGRAPHIE


PRIX
  •   Prix de la première œuvre 2005 de la Communauté française (Les Candidats)


NOS EXPERTS EN PARLENT
Le Carnet et les Instants

Voici dans cette rentrée littéraire un premier roman qui fait surface pour la troisième fois. Édité en 2004 à La Martinière, puis l’année suivante chez Points en poche et épuisé, prix de la première œuvre de la Communauté française en 2004, Les Candidats est aujourd’hui réédité par Espace Nord – what else. De son autrice, on connaît aussi 1993 (éd. La rue de Russie), Joseph (La Différence, finaliste du Rossel en 2012) ou encore Cioran et ses contemporains (essai qu’elle a codirigé avec Pierre-Emmanuel Dauzat chez Pierre-Guillaume de Roux). La toute fraîche publication dans la collection patrimoniale offre une occasion en or de se replonger dans les paysages mentaux, dans les accords désaccordés – ou les désaccords accordés, ça marche aussi – de Yun Sun…


Le Carnet et les Instants

Sobrement intitulée 1993, cette longue confidence de femme, tout individuelle qu’elle soit, dans le ressenti et sa communication, dans la réticence elle-même, est une trace d’Histoire. Ces « cahiers », en effet, ressortiraient à la discipline récente de l’histoire de la vie privée s’ils n’étaient de fiction. Mais le sont-ils totalement, alors que le mot roman n’est avancé qu’à la page de titre ? Peu importe d’ailleurs, l’essentiel est qu’ils parlent vrai. D’emblée, le texte nous fait pénétrer dans l’intériorité d’une réflexion, peut-être en cours depuis longtemps, comme le laisse pressentir la première phrase : « Je n’ai toujours pas trouvé de sens à ma vie ». Le ton aussi, traduit trahit la pensée ou la parole pour soi : avec ses hésitations,…


Le Carnet et les Instants

Intéressant projet que celui de la collection « Tibi », lancée par les éditions des Belles Lettres : elle vise à proposer des ouvrages de réflexion, de formes variées, mais toujours brèves, et « inspiré[e]s par les maîtres du billet d’humeur, les Anciens », sur des sujets quotidiens, avec le souci constant de rester accessible à un large public.

À l’inverse de ce que son titre, d’une pompe parodique, laisse présager, le dernier ouvrage de Yun Sun Limet, De la Vie en général & du Travail en particulier, embrasse parfaitement les objectifs de la collection qui l’accueille. En fait de forme, l’auteure de Joseph a choisi pour son court essai l’autofiction épistolaire 2.0 : depuis l’hôpital où elle se fait soigner pour une maladie grave, « ysl » envoie…


Le Carnet et les Instants

Maurice Blanchot : un nom familier dans l’univers des lettres, mais un écrivain dont l’œuvre est souvent méconnue ou oubliée. Œuvre romanesque, mais aussi et surtout œuvre de critique et de réflexion sur la littérature. C’est à ce dernier aspect que s’attache précisément l’essai de Yun Sun Limet. Docteur ès lettres, cette native de Séoul, mais de nationalité belge, a enseigné aux universités de Paris 8 et de Louvain. Également romancière, elle travaille aujourd’hui dans l’édition.

Né en 1907, Blanchot a vu sa réputation largement compromise depuis une trentaine d’années, lorsque l’on a voulu mettre plus en lumière son passé de jeune journaliste collaborant dans les années 1930 à plusieurs journaux et revues de droite (parfois extrême),…


Le Carnet et les Instants

Yun Sun Limet fait une pause fictionnelle et explore son passé d’enfant « arrivée » d’un pays lointain dans une famille qu’elle a faite sienne au point d’en adopter les ancêtres. Car c’est de racines familiales qu’elle parle dans ce roman dont le personnage principal est un oncle prénommé Joseph qu’elle n’a jamais connu.

Mais avant d’en venir à lui, elle plonge dans la mémoire d’une région, la Famenne, et prend le temps de reconstituer l’ambiance d’une époque, celle de l’immédiat après-guerre. Elle dit la prégnance de la religion catholique, de la séparation entre garçons et filles, les jeux simples au grand air, le rituel de passage du service militaire, l’ambiance laborieuse de ces petites gens qui portent leur destin à bout de bras en…