Bon. Allez. J’avoue. Je jalouse, extrêmement, tous ces gaillards, toutes ces gaillardes, à l’œil vif et pointu, ces intelligences en éveil, capables de vous écrire, en deux lignes, une phrase qui tue, un aphorisme, un trait d’esprit tout ce qu’il y a de plus aiguisé, de plus perçant, de plus rosse ou de plus drôle. C’est que, pour ma part, on me rangerait plutôt sur une autre armoire. Celle de la vie ralentie. De l’œil terne et sans éclat. De l’intelligence molle du genou. Toujours en retard d’une guerre en somme. De sorte que, petite vengeance sournoise et personnelle, je l’avoue, je ne peux pas m’empêcher d’ouvrir un recueil d’aphorismes sans partir à la traque, à l’affût des phrases bancales, celles qui retombent comme un soufflé, celles où l’intelligence…
« Plongez dans le parcours d’un enseignant libre et rétif à toute discipline imposée, imaginatif, fou de poésie et de théâtre ! Un prof philosophe qui voyage et aime partager ses découvertes, n’hésitant pas à transformer sa classe en agora et à pousser chaque élève au bout de lui-même. »Alain Dantinne est poète, romancier et critique. Il vient de publier un tout récent 68 rue des Écoles qui est véritablement roboratif.Les quatrièmes de couverture d’éditeurs se laissent écrire et l’auteur souvent écrase en le minéralisant, son texte dans ces quelques lignes de promo-vente… Heureusement, ces phrases de « com » sont souvent contestées par l‘œuvre elle-même. En l’occurrence, Alain Dantinne, dans 68, rue des écoles ne livre pas un texte aussi éruptif…
Alain DANTINNE, Amour quelque part le nom d’un fleuve, illustrations Jean Morette, Herbe qui tremble, 2020, 271 p., 17 €, ISBN 978-2-491462-00-0À vivre depuis quelques mois comme des reclus, on en viendrait presque à perdre le nord et dès lors, la notion du voyage. Étourdis, désorientés, nous n’avons, comme seul horizon, que celui de la chambre autour de laquelle nous bombinons. Dans cette attente de nouveaux départs, la lecture du volume-anthologie d’Alain Dantinne, Amour quelque part le nom d’un fleuve, ravive l’espoir. Celui non seulement d’envisager reprendre la route, entonner une fois encore le chant des pistes mais plus essentiel peut-être, celui de pouvoir choisir son exil intérieur. Et c’est justement par ce titre que débute la déambulation dans l’œuvre…
« Écrire, c’est scruter le visible pour entendre l’invisible », nous dit Alain Dantinne aux premières pages de Brise de mère. Un livre intense, dans lequel il scrute, en chapitres courts – instants de vie, scènes saisies sur le vif, émotions vivaces -, son histoire familiale jusqu’à un présent déchirant. Marqués par la présence de sa mère, le lien indéfectible qui les a noués dès l’enfance : ce « elle-et-moi » longtemps limpide, parfois orageux, mais invincible.Le grand personnage est donc cette femme au foyer, née dans les dernières années de la Première Guerre mondiale, vivant dans l’ombre de son mari et de ses quatre enfants, tenant le ménage et les comptes. Effacée, mais laissant percer un humour acide, une verve sarcastique, et récriminant…
« Au cœur de l’écriture / l’ombre de la main / Au cœur de l’ombre / une fêlure / Au cœur de la fêlure / l’absence / Au creux de l’absence / la poésie »Dans une lumière tamisée s’ouvre ainsi le dernier recueil d’Alain Dantinne, Précis d’incertitude.On y respire l’appel du large, l’air et le vent des grands espaces, la vibration des paysages contrastés qui animaient déjà, voici plus de trente ans, Je n’ai jamais été à Iquitos. « Ce qui nous est dit, écrivait Jean-Claude Pirotte dans son avant-propos, c’est l’ailleurs, et que cet ailleurs ne délivre pas de soi-même. » On y entendait l’écho d’un vœu, d’une promesse : « Je serai voyageur / Je bourlinguerai mes sentiments / De pays en pays / De rêves en rêves ».Promesse…
Prononcer vingt-cinq aphorismes par jour et ajouter à chacun d’eux : Tout est là, ironisait Jules Renard. Voici trois ouvrages pour encourager à cet exercice quotidien. Car il s’agit bien de cela : d’une discipline mentale comme il en existe de physiques. C’est à se demander si le cerveau n’est pas un muscle. En tout cas, on en a tous un, ce qui fait dire à Gustave Lebon : L’homme pense par aphorismes.Nous sommes tous ego. Certains plus que d’autres, renchérit Alain Dantinne, frappant ici en finesse. Sa Pure critique de la raison (suivi du Petit traité de métaphysique élémentaire) fonctionne par thèmes majeurs réduits en saillies : De la religion et autres balivernes, De la vertu et autres fadaises, Du narcissisme et autres névropathies, Du sexe et autres bagatelles,…
Alain DANTINNE, Chemins de nulle part, peintures de Jean Morette, L’herbe qui tremble, 2023, 110 p., 17 €, ISBN : 9782491462536Plaisir non dissimulé de retrouver la voix toujours voyageuse et lucide du poète Alain Dantinne avec ce nouveau recueil publié à L’herbe qui tremble. Comme un prolongement aux deux précédents publiés chez le même éditeur, ces Chemins de nulle part nous ravissent en nous embarquant une fois encore dans le sillage d’une écriture poétique singulière en prise directe avec les échos d’un monde en déroute. Une actualité riche d’ailleurs pour le poète-prosateur qui publie quasi simultanément un ensemble de nouvelles chez Weyrich sous le titre Une gravure satanique.Parce que l’écriture est aussi affaire de compagnonnage, on repère au détour …
Autour de La Rupture des falaises, une œuvre musicale du compositeur et chef d’orchestre Pierre Bartholomée, créée en 2008, récemment enregistrée, une autre partition, de dessins et de poèmes, retentit, tissant des harmoniques visuels et scripturaux. Les dessins de Pierre Tréfois, les textes poétiques d’Alain Dantinne, d’André Doms et de Jean-Louis Rambour forment comme un quatuor qui traduit le champ sonore dans un espace autre. Des vagues de poèmes et de dessins montent à l’assaut de la création de Pierre Bartholomée, laquelle évoque la figure de la mystique et poétesse Hadewijch d’Anvers. Nés de l’écoute de l’œuvre musicale, d’une source sonore, les dessins intitulés « Érosion-Rébellion » et les poèmes inscrivent leurs interrogations esthétiques…