Connues pour leur très belle ligne éditoriale, pour l’élégante facture de leurs livres, pour leurs publications de nombreux ouvrages de Michaux, les éditions Fata Morgana, dirigées par Bruno Roy et David Massabuau, viennent de publier Saisir, un des recueils les plus saisissants d’Henri Michaux, rythmé par ses textes et ses dessins à l’encre. « Livre d’artiste » ou plutôt livre michaldien, Saisir (1979) renvoie au poème éponyme de Jules Supervielle, un ami de Michaux. L’ambition du livre est d’emblée posée : tenter de « saisir mieux, de saisir autrement, et les êtres et les choses, pas avec des mots, ni avec des phonèmes, ni des onomatopées, mais avec des signes graphiques ». Une nouvelle fois, le poète s’engage à frayer un abécédaire, un bestiaire…
Tension de la pensée avec la réalité, expérience d’une perte d’être, d’une défaillance ontologique qu’Henri Michaux partage avec Artaud, inlassable exploration de l’« espace du dedans » composent la basse obstinée de l’univers poétique de l’auteur de Plume, Ecuador, Mes propriétés. Les éditions Unes publient un magnifique volume composé d’un texte de 1975, Coups d’arrêt (une version remaniée paraîtra dans Chemins cherchés, chemins perdus, transgressions) et d’Ineffable vide qui, retravaillé, figurera dans les addenda de Misérable miracle. Au nombre des voies permettant l’arpentage des territoires intérieurs, Michaux a élu l’évasion, les voyages en Asie, en Amérique du Sud, les voyages fictifs, les feux de l’imaginaire, la drogue par…
Alors que d’aucuns devraient se faire inoculer quelque vaccin pour guérir de la rage d’apparaître qui semble les tenir, Henri Michaux incarne un contre-exemple absolu dans le refus de livrer son image, de laisser une trace autre qu’écrite, de brader sa présence au monde. Le barbare altier qu’il était partageait ainsi avec certaines peuplades fallacieusement taxées de « primitives » la conviction qu’être photographié revenait à se faire voler son âme ; et le seul film où on peut l’entrevoir, lors d’une conférence prononcée par Borges au Collège de France en 1983, montre un homme en passe de verser dans l’invisibilité, au regard dissimulé par d’épais verres fumés. Jamais d’interview, pas d’enregistrement. Pire : il était phobique du contact humain,…