BIOGRAPHIE Né à Anvers le 27 mai 1854, dans une riche famille bourgeoise, Georges Eekhoud perd ses parents avant d'atteindre l'âge de dix ans. Recueilli par un oncle, il est envoyé dans un pensionnat suisse; au-delà d'études scientifiques et mathématiques, il s'y familiarise avec l'anglais, l'allemand et l'italien. Un court passage à l'École militaire de Bruxelles lui permet de bénéficier de la présence de Charles De Coster, en tant que répétiteur. Il est exclu de l'école suite à un duel, et dilapide l'héritage paternel. Son oncle l'émancipe.
Dès 1877, il écrit deux recueils de poèmes,
Myrtes et cyprès et
Zig-zags poétiques, dans lesquels l'influence romantique est très présente.
Dans Les Pittoresques (1879), sa versification reste classique, mais des préoccupations sociales apparaissent. Il tente alors l'aventure parisienne, et fréquente les peintres Millet et Rousseau. Sa production littéraire sera jalonnée d'études consacrées à des artistes comme Teniers, Looymans, Poreau ou les peintres animaliers. À Paris, il fait aussi la connaissance de Zola, de Verlaine et de Remy de Gourmont.
Rentré en Belgique et pressé par la nécessité, Eekhoud entame une carrière journalistique. Il devient rédacteur à
L'Étoile belge dès son installation à Bruxelles en 1881, et participe à
La Jeune Belgique, dont il se séparera pour devenir l'un des fondateurs du
Coq rouge. Son premier roman,
Kees Doorik, est publié en 1883. Il s'agit d'une étude naturaliste, dans le cadre rural de la Campine. À travers une intrigue amoureuse, Eekhoud pose les premiers jalons de ses futures préoccupations : l'antagonisme entre l'homme et la société conformiste. Les romans suivants accentueront les prises de positions sociales.
Kermesses (1884) et
Les Nouvelles Kermesses (1887) sont des recueils de nouvelles à la langue colorée. L'influence qu'a exercée sur lui la peinture s'y retrouve dans des scènes pittoresques, pleines de bruits et de fureurs.
Les Milices de Saint-François (1886) et
La Nouvelle Carthage (1888) apparaissent comme des exemples parfaits du roman naturaliste belge. Le second récit est centré sur les enjeux bourgeois et capitalistes qui s'opposent à la misère des usines dans une tragédie de colère et de sang. Dans les ouvrages qui suivent, Eekhoud reste fidèle à sa révolte contre les conventions et les injustices et il dépeint les milieux où les souffrances et les détresses passent avant le bonheur. Les récits du
Cycle patibulaire (1892) s'attachent aux marginaux et aux exclus de la société; ceux de
Mes communions (1895) font pénétrer le lecteur dans les milieux de la prostitution et des expatriés. L'homosexualité est le thème central des romans
Escal-Vigor (1899) et
L'Autre Vue (1904). À l'époque où Wilde subit la prison pour ce motif, et où Gide affiche ses positions uranistes, Eekhoud s'inscrit dans le mouvement du droit à la différence. La publication de sa correspondance avec Sander Pierron, en 1993, a mis en évidence le caractère particulier d'une liaison sur laquelle avait toujours plané l'ambiguïté.
En 1891, Eekhoud écrit un récit historique,
Les Fusillés de Malines, épisode de la résistance armée des paysans flamands contre l'oppresseur français. Il récidive en 1912, avec
Les Libertins d'Anvers, qui se déroule dans la cité portuaire, au Moyen Âge, et évoque les aventures d'une secte païenne. Dans ces textes, Eekhoud fait preuve d'un souci très réel de documentation.
Magrice en Flandre ou le Buisson des mendiants (1927), roman picaro-chevaleresque, et
Proses plastiques (1929), ensemble de récits parus précédemment, complètent une uvre dont le souci reste la dénonciation de l'oppression sous toutes ses formes. L'évolution de la pensée d'Eekhoud aboutira en 1922, dans
Le Terroir incarné, à une constatation presque résignée : l'histoire individuelle s'efface devant l'histoire collective.
Il faut signaler, pour être complet, des études sur Henri Conscience, sur Shakespeare et son siècle et sur Peter Benoît, ainsi que de nombreux articles parus dans des dizaines de revues. Sans grand succès, Eekhoud tentera l'aventure théâtrale (
L'Imposteur magnanime, 1902).
Pendant de nombreuses années, Eekhoud donne des cours publics de littérature, mais il doit quitter sa fonction en 1918, suite à ses déclarations pacifistes en temps de guerre. Un mouvement de solidarité internationale, auquel participent notamment Romain Rolland et Henri Barbusse, a pour effet de le réhabiliter. Ce n'est pas la première fois qu'une action de soutien est entreprise en sa faveur. En 1900, déjà, Barrès, Gide, Pierre Louÿs et d'autres firent paraître dans le Mercure de France une motion de protestation contre le procès intenté à Eekhoud pour son roman Escal-Vigor, jugé licencieux. Ce procès aboutit à l'acquittement de l'écrivain.
L'uvre d'Eekhoud est riche en violence et en sensualité, elle exprime les frémissements de la passion humaine et s'insurge contre les conventions. Son style est lui aussi révolutionnaire. S'éloignant de la pureté de la langue défendue par Giraud ou par Gilkin, il adopte un vocabulaire truculent, coloré, émaillé d'expressions populaires, qui donne aux tableaux qu'il dépeint un grand accent de vérité. L'expressivité qui se dégage de son discours pourrait paraître limitée par le souci de susciter chez le lecteur une réaction contre les injustices. Mais Eekhoud s'en sert avec bonheur pour définir son originalité et conserver à ses récits une étonnante actualité. Eekhoud a mené dans la société rigide et conformiste du début du siècle un combat qui dut être douloureux. Son uvre où l'instinct domine, où les accents pathétiques abondent, est le témoignage d'une personnalité sensible à la détresse humaine.
Lorsque l'Académie royale de langue et de littérature françaises est créée, Eekhoud fait partie des membres désignés par le roi. Il meurt à Schaerbeek le 29 mai 1927.